Primaire de toute la « gauche » : une fausse bonne idée !
Tribune que j’ai co-signé avec d’autres membres du parlement de l’union populaire
Après s’y être farouchement opposée, Anne Hidalgo promeut une primaire pour sélectionner un candidat unique « de gauche » à la présidentielle. De son côté, Arnaud Montebourg appelle les candidats de gauche à s’unir. Pour eux, seul le rassemblement autour d’un candidat commun laisserait à la gauche une chance de gagner l’élection présidentielle.
Cet argument, présenté comme une évidence et relayé comme tel par une grande partie des médias, ne tient en réalité pas la route.
Rappelons tout d’abord que les rapports de force politique décrits par les sondages (qui signalent que la moitié de l’électorat n’a pas encore d’avis arrêté) sont destinés à évoluer fortement dans les mois qui viennent. Rappelons ensuite que début décembre 2016, le sondage IFOP qui testait Benoit Hamon comme candidat du PS donnait 21% à toute la gauche, alors que ce total a atteint 27,7 % lors de l’élection. Cette augmentation, certes insuffisante, a notamment été permise par la campagne de Jean-Luc Mélenchon qui a su mobiliser l’électorat populaire. Le niveau d’abstention et la participation des classes populaires joueront un rôle déterminant en avril prochain.
C’est dans ce contexte qu’il faut évaluer la proposition de la primaire de la « gauche ». Le risque d’une abstention élevée est largement imputable aux déceptions engendrées par l’alternance entre gouvernements de droite et de gauche qui n’ont cessé de mener des politiques néolibérales inégalitaires et en même temps destructrices des services publics et de l’environnement. Dès lors, en quoi un candidat unique, choisi très tardivement et qui devrait défendre un programme construit en quelques semaines, pourrait être en mesure de susciter un réel espoir de transformation sociale et écologique ? Par ailleurs, le précédent de la primaire PS de 2017 a montré qu’une fraction significative de ce parti n’a pas respecté le résultat et a préféré faire la campagne d’Emmanuel Macron ou s’abstenir plutôt que de soutenir Benoit Hamon. Enfin, le dispositif de la primaire ne mobilise qu’un électorat déjà sensibilisé quand l’enjeu essentiel est de convaincre les hésitants et les abstentionnistes.
Une primaire ne nous rapprochera pas de l’objectif d’une victoire électorale, et n’élargira pas le périmètre que les sondages attribuent à la gauche. Il faut alors se demander pourquoi certains candidats se convertissent à cette idée. Une première réponse est qu’elle permettrait à Anne Hidalgo ou Arnaud Montebourg, qui enregistrent des intentions de vote très faibles, une sortie honorable de la compétition. Cette réponse est cependant incomplète car elle n’explique pas le remarquable soutien médiatique dont jouit aujourd’hui cette proposition. Pour le comprendre il faut s’arrêter sur le clivage principal qui divise la gauche, à savoir celui entre une gauche qui adhère au néolibéralisme, et qui se distingue de la droite seulement par le rythme des réformes et par quelques mesures d’accompagnement destinées à soulager les souffrances sociales, et une gauche décidée à rompre définitivement avec le néolibéralisme.
Il faut mettre largement au crédit de Jean-Luc Mélenchon une initiative qui, enracinée dans le « non » de gauche au referendum de 2005, s’est concrétisée d’abord dans la constitution du Parti de Gauche, du Front de Gauche, puis de La France Insoumise et, aujourd’hui, de l’Union populaire. Cette dynamique a permis à la gauche de rupture non seulement de se donner une existence autonome, mais aussi un programme précis qui donne un contenu concret à la sortie du régime néolibéral. Lors de l’élection présidentielle de 2017, on le sait, le candidat de LFI et du PCF a obtenu un résultat qu’il faut qualifier d’exceptionnel, non seulement au regard de la dynamique française, mais aussi en comparaison du paysage politique des autres pays européens. L’opposition frontale à François Hollande et à ses gouvernements a été un préalable nécessaire et décisif à ce résultat, conduisant une fraction significative de la classe ouvrière et des catégories populaires à croire de nouveau à une perspective de gauche. La présidentielle de 2017 a certes été marquée par l’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron et du bloc bourgeois, mais elle a aussi conduit à une remise en cause fondamentale de l’hégémonie exercée sur la gauche par le PS depuis quatre décennies. Il aurait été surprenant qu’un tel renversement des rapports de force à gauche n’engendre pas de ripostes politiques, qui en effet n’ont guère manqué au cours des cinq dernières années.
Les tentatives de disqualifier LFI, y compris en provenance de la gauche d’accompagnement, ont été nombreuses et variées, mais chaque fois en contournant le nœud décisif du rapport avec le néolibéralisme. Si elles ont certainement contribué à affaiblir la gauche dans son ensemble, elles n’ont guère permis au PS de retrouver son rôle hégémonique dans cet espace. D’où la proposition d’une primaire : parce qu’on ne peut pas délégitimer la gauche de rupture et la repousser dans une position ancillaire, autant la noyer dans un processus « unitaire » qui dissimulerait toute divergence programmatique.
Il ne faut donc pas se tromper : c’est d’une gauche d’accompagnement aux abois que provient cette proposition improvisée de primaire de la gauche, comme l’est celle de la possible candidature « providentielle » de Christiane Taubira. Tout cela n’est pas sérieux et détourne des vrais enjeux. Si l’on veut véritablement endiguer la montée de l’extrême-droite, il faut arriver à convaincre les classes dont les conditions de vie se dégradent que leur ennemi n’est pas l’immigré, le musulman ou l’arabe, mais les politiques néolibérales qui fragilisent les salariés, détruisent l’hôpital et l’école, s’attaquent aux retraites, aux chômeurs et aux pauvres et, plus largement, maltraitent les êtres humains et détruisent les écosystèmes. L’Union populaire et son programme l’avenir en commun fournissent une base solide à partir de laquelle bâtir une alternative sociale et écologique.
Les signataires sont des universitaires et chercheurs, membres du Parlement de l’Union populaire :
Éric Berr,
Hendrik Davi,
Cédric Durand,
Karin Fischer,
Razmig Keucheyan,
Stefano Palombarini,
Arnaud Saint-Martin.