Grève de masse pour aller vers un processus constituant
Le billet de Philippe Corcuff (http://www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-corcuff/181010/pour-une-guerilla-sociale-durable-et-pacifique) ouvre un débat passionnant sur le mouvement actuel et ses perspectives. Il est toujours difficile à chaud de penser et d’écrire sur un mouvement social, mais c’est une tâche essentielle.
La réflexion de Corcuff va dans le bon sens. Il apporte un début de réponse aux deux écueils pour le mouvement : la sortie purement réformiste (attendre 2012 et Aubry) ou la visée traditionnelle de la gauche révolutionnaire avec son mythe éternel de la grève générale. Corcuff s’inscrit il me semble plus dans le processus de grève de masse décrit par Rosa Luxemburg. Celle-ci rappelait ceci sur la grève générale :
« Dans le programme de Bakounine, la grève générale est le levier qu’on emploie pour déclencher la révolution sociale. Un beau matin, tous les ouvriers de toutes les usines d’un pays, ou même du monde entier, cessent le travail contraignant de la sorte en quatre semaines au maximum les classes possédantes, soit à capituler, soit à taper sur les ouvriers ce qui donne alors à ceux-ci le droit de se défendre ».
Rosa Luxemburg remarquait déjà à l’époque que ce mythe n’était pas une nouveauté : socialistes français, belges et même les Alliancistes anglais en avaient fait un point central. Mais elle explique que dès l’origine (1873 congrès des Alliancistes) : « tout le monde reconnut qu’il fallait pour la faire que la classe ouvrière fut totalement organisée et que ces caisses soient pleines (…)». Pour, Rosa Luxemburg ce dilemme a été en partie levé par le marxisme et la mise en avant de la bataille proprement politique. Ensuite elle explique que la révolution Russe et sa grève générale insurrectionnelle pouvait donner l’illusion d’optique d’une réhabilitation de la grève générale. Mais ce n’est pas le cas :
« La grève de masse a été réalisée en Russie non comme un moyen de sauter d’emblée, par un coup de théâtre, dans la révolution sociale (…) mais comme le moyen de créer d’abord, pour le prolétariat les conditions de cette lutte politique quotidienne et en particulier du parlementarisme ».
On pourrait rajouter que les conditions des grèves générales insurrectionnelles massives ne sont, en plus, pas réunies aujourd’hui. La classe dominante française n’est pas aussi fragile que ne l’était la classe dominante russe de 1917. Si l’on prend un autre exemple, la classe ouvrière française actuelle n’a ni l’organisation ni les moyens de la classe ouvrière française de 1968 (plein emploi, syndicalisme fort).
Rosa Luxemburg indique une double voie en proposant un processus de grève de masse protéiforme et la nécessité de proposer des solutions parlementaires en rupture avec les classes dominantes. La grève de masse est décrite par Rosa Luxemburg de la façon suivante :
« « Il est absolument faux d’imaginer la grève de masse comme une action unique. La grève de masse est bien plutôt un terme qui désigne collectivement toute une période de la lutte de classes s’étendant sur plusieurs années, parfois sur des décennies (…) Chaque vague d’action politique laisse derrière elle un limon fertile d’où surgissent aussitôt mille pousses nouvelles les revendications économiques. Et inversement, la guerre économique incessante que les ouvriers livrent au capital tient en éveil l’énergie combative même aux heures d’accalmie politique; elle constitue en quelque sorte un réservoir permanent d’énergie d’où la lutte politique tire toujours des forces fraîches; en même temps le travail infatigable de grignotage revendicatif déclenche tantôt ici, tantôt là des conflits aigus d’où éclatent brusquement des batailles politiques. » .
Le travail de Philippe Corcuff est indispensable car il propose une visée des moments chauds de la grève de masse pour que la radicalité de ces moments ne soit pas incompatible avec une progression d’ensemble de la classe. Dans cette nouvelle radicalité, j’ajouterais qu’il faut vite passer à des modes d’occupations de lieux de travail et de lieux symboliques et trouver un moyen pour que la jeunesse des quartiers puisse s’exprimer (sinon on va avoir de nouvelles émeutes potentiellement favorables au pouvoir).
La seule divergence que je peux avoir avec lui est sur la nécessité de donner ou non des perspectives politiques y compris parlementaires au cours de ces moments chauds (et nous en vivons un). Car nous l’avons bien vue avec Mai-Juin 2003, un moment chaud (une suractivité des masses) qui n’est pas suivi de débouchés politiques à la hauteur (pas forcément la révolution mais au moins à une victoire ou mieux à un processus électoral de type bolivarien par exemple), peut conduire à un défaitisme terrible. Le monde de l’enseignement est en partie absent aujourd’hui car la défaite de 3 mois de grève en 2003 a laissé des traces.
Dans la période actuelle, il y a trois perspectives politiques graduées que nous devons mettre en avant : (1) un référendum sur la réforme en question, (2) la démission du gouvernement et (3) la proposition d’élections générales pour aller vers une nouvelle constituante. Evidemment le traumatisme de 1968 fait que beaucoup ont peur d’élections générales. La politique de l’autruche qui nierait la nécessité de perspectives parlementaires n’est pas la solution, il faut plutôt organiser cette perspective et en être le moteur pour que celle-ci ait lieu maintenant en période chaude plutôt qu’en 2012. Il ne faut pas laisser aux classes dominantes le temps de se réorganiser afin de proposer une solution PS ou pire une solution encore plus fascisante (alliance Sarkozy et le Pen) que celle que nous expérimentons actuellement. Dans ce cadre, la revendication de constituante (on met tout sur la table) est la solution car elle permet de maintenir un niveau élevé d’auto-organisation des masses. Elle n’est peut être pas à l’ordre du jour, mais à mesure que le mouvement se durcit, elle peut le devenir très vite.
Si la gauche de gauche prenait réellement ces responsabilités, Pierre Laurent, Olivier Besancenot et Jean Luc Mélenchon organiserait un meeting à Paris dans un stade et proposerait des élections générales, un candidat commun avec comme mandat l’organisation de débats pour une nouvelle constituante…. On a le droit de rêver. Mais ce schéma est celui qu’on suivit les boliviens, il y a quelques années de cela…
19 Octobre 2010 Par hendrik davi publiée sur Médiapart