De quoi Hamon est il le nom ?
Depuis que Benoît Hamon a gagné la primaire de la Belle Alliance Populaire, l’astre mort du PS semble de nouveau rayonner et le journal « Libération » chante l’unité retrouvée de ces deux gauches hier encore irréconciliables. Hamon en siphonnant les idées de l’autre gauche a remis le PS sur les rails. Il est donc un sujet paradoxal passionnant : le rejet de la politique de Hollande sauvant, au moins momentanément, la social démocratie du soldat Hollande.
Analysons donc ce processus et ce moment. Du fait de la politique de droite menée par Hollande, le divorce des couches populaires vis-à-vis de la gauche s’est poursuivi tout au long du quinquennat touchant même ceux, syndicats ou partis, qui l’ont combattu. Mais le cœur de l’électorat socialiste plutôt composé de classes moyennes citadines a décroché seulement à partir de février 2016. En effet, Hollande est encore à près de 20% dans les sondages en janvier. Mais la déchéance de nationalité et la mobilisation contre la loi el Khomri vont entraîner un décrochage de la composante de gauche de cet électorat. Dans les sondages, Hollande passe sous la barre des 15% fin juin, alors que Mélenchon dans le même temps passe de 9-10% en Janvier à 13-15%. La bascule est assez claire, une partie de l’électorat habituel du PS (en gros 5%) se tourne vers Mélenchon. Ensuite quand Macron se présente en octobre, un nouveau décrochage s’opère, Hollande ou Valls passant alors sous le seuil symbolique des 10%. Les sondages donnant Hamon entre 15 et 17% sont donc un retour à la normal. Les brebis socialistes reviennent à la maison, après un an d’insoumission, mais pour combien de temps ? Quel miracle a permis de fermer d’une certaine manière la parenthèse de la mobilisation sociale et est-elle vraiment refermée ?
Revenons aux primaires. La primaire mobilise, avant tout, les fidèles du camp en question (droite ou gauche) et dans ce camp les plus politisés et d’avantage les classes moyennes supérieures des villes. Deux dynamiques jouent au sein de tels primaires : un vote utile visant à choisir le candidat le mieux placé pour gagner la présidentielle et un vote de cœur pour le candidat le plus à même d’entrer résonnance avec les électeurs de la primaire. En 2011, c’est plutôt le vote utile qui a joué. En 2016 et 2017 la seconde dynamique s’est imposée, car le vote utile avait perdu de son intérêt. En effet, à droite selon les sondages quelque soit le candidat, il était a priori sûr de gagner la présidentielle contre Marine Le Pen. À gauche quel que soit le candidat, il était, selon les mêmes sondages, sûr d’être absent du second tour ! Donc si on pouvait penser que Valls ou Hollande allait gagner la primaire début 2016 quand ils étaient encore à 20%, les percées de Macron et Mélenchon et la politique de Valls contre son propre camp avec les mobilisations massives qu’elle a suscitées, rendaient possible la victoire de la gauche du PS.
La victoire de Hamon est avant tout une gifle à la politique de Valls qui vient de son propre camp social et politique. Cette victoire, qui est une bonne nouvelle, s’inscrit donc dans la continuité du processus de décomposition du hollandisme et devrait sonner la défaite du social-libéralisme. Or c’est tout le contraire qui semble avoir lieu. Après cette victoire j’ai émis deux hypothèses : la droite du PS rejoint Macron et le PS explose en vol ou Hamon recentre son discours et devient l’homme de la synthèse[1]. Notons que ces deux hypothèses expriment une victoire du Hollandisme, car soit Macron est renforcé, soit Hamon endosse l’habit de la synthèse. Le film est loin d’être encore fini, mais je pense que nombre d’observateurs avaient sous-estimé la seconde hypothèse.
Déjà en 2012 à peu près à la même période, face à la montée de Mélenchon dans les sondages, Hollande avait dégainé le discours du Bourget et le fameux « mon ennemi est la finance ». Finalement en 2017, les électeurs de la primaire ont fourni au PS une porte de sortie similaire. Le PS l’a-t-il saisi de façon opportuniste ou cette porte de sortie a elle été négociée dès le renoncement de Hollande ? Nous ne le saurons probablement pas. Quand le débat sur la primaire s’est engagé en janvier, une des raisons qui m’ont poussé à m’engager dans la campagne de la France insoumise était précisément d’éviter que alternative molle du type « Hamon » n’émerge[2]. Aujourd’hui, il est donc encore plus urgent soit de convaincre Hamon de renoncer au côté obscur de la force sociale-libérale[3] soit de combattre les illusions liées à sa candidature s’il reste arrimé au Titanic socialiste.
La « manip » du PS peut sembler grossière. Qui peut croire que Hamon appliquera son programme alors même qu’il refuse le rapport de force pour s’affranchir des règles de Bruxelles et que l’immense majorité des députés seront de la droite du PS[4] ? Mais elle peut fonctionner au moins pour le cœur de l’électorat socialiste. Elle fonctionne depuis 1983. Elle a toujours été très efficace sur un électorat des classes moyennes et supérieures qui est tétanisé par la menace sociale et sociétale que représente le FN et Fillon, mais surtout qui ne veut encore renverser la table. Le raisonnement de bon nombre d’électeurs de gauche est simple et somme tout efficace : « Hamon + Mélenchon cela fait 25 à 26% des sondages, alors il faut que Mélenchon se retire, sinon ce sera la droite ou le FN. Et puis tant pis si Hamon trahit ensuite, ce sera quand même moins pire. »
Le problème c’est que ce raisonnement a conduit à un FN à 25% et qu’un raisonnement similaire a conduit à évincer Sanders pour une certaine Hilary Clinton. La planète brule, l’hôpital et l’école sont en faillite, les gens dorment dehors…On ne peut plus continuer. Quand bien même Hamon gagnerait, hypothèse peu probable, s’il mène une nouvelle fois une politique, qui ne répond pas aux besoins sociaux et n’engage pas la transition écologique, toute la gauche pourrait ne jamais s’en remettre. Notamment si toute l’autre gauche s’est rangée derrière lui…
Si la vraie gauche arrive au pouvoir. Elle doit vraiment contribuer à changer la donne, ce qui passe par une constituante pour une VIème République, la sortie des traités européens, une autre répartition des richesses et une planification écologique d’ampleur. Même une orientation du type Tsipras est insuffisante. Hamon n’a actuellement ni la majorité ni le programme politique, pour mener une telle politique de rupture. Il pourrait porter cette politique avec Mélenchon et Jadot, s’il renonçait à l’appareil du PS. Hélas, il ne le fera probablement pas. En restant au milieu du gué, il risque de sombrer[5], car il y a bien deux gauches dans ce pays et que les échos de la mobilisation contre la loi travail pourraient se rappeler à son bon souvenir. Mais Il peut aussi hélas faire illusion comme naguère Hollande, mais en a-t-il l’étoffe ?
De son côté, Mélenchon a certes peu de chances de gagner, car son programme est radical et que la bataille idéologique sur les thèmes qui sont les siens est très loin d’être gagnée[6]. Mais comme l’a expliqué Lordon[7], cette élection est très particulière. Tout bouge très vite. Une grande partie des classes populaires et des abstentionnistes n’ont pas fait leur choix. Fillon est en déroute. Macron est peut-être le prochain sur la liste. Le numéro d’équilibriste de Hamon sera périlleux. Le FN est divisé et peu audible. Enfin Mélenchon a des défauts, mais il a aussi d’énormes qualités de débatteur. Il faut donc convaincre et continuer la bataille idéologique sur notre programme.
Continuons donc à dialoguer sans sectarisme avec les électeurs d’Hamon, de Jadot ou de Poutou. Mais investissons aussi le milieu rural ou les différents types de banlieues. Profitons des livrets qui vont compléter le programme pour investir tous les sujets avec la même radicalité : racisme et discrimination, culture, recherche, lutte contre la grande pauvreté, transports, logement.
La campagne ne fait que commencer ! Si Hamon renonce à la main tendue, nous aurons la lourde tâche de porter les couleurs de la vraie gauche dans un paysage politique que son investiture n’aura hélas pas permis de clarifier
[1] Un troisième hypothèse existe et évidemment c’est celle la plus souhaitable : Hamon renonçant au PS et acceptant la main tendu de Mélenchon et Jadot.
[2] Avec des camarades d’Ensemble nous écrivions en avril : « Sans doute sommes-nous d’accord entre nous, quant aux contours la nouvelle force à construire : elle devra regrouper tous ceux qui s’opposent à la politique antisociale de Hollande. Par contre, le débat se situe sur le centre de gravité de cette nouvelle force. Nous pensons que le centre de gravité d’une telle force doit être un positionnement politique du type de celui défendu par Ensemble et le PG (rupture avec les traités, VIème république, écosocialisme) et non les positions de la gauche du PS ou d’une partie du PCF. En effet, le positionnement de ces derniers vise à reconstruire une gauche plurielle qui in fine ne s’opposera pas suffisamment aux logiques du capital pour réellement redistribuer les richesses et opérer la transition écologique »
[3] https://www.youtube.com/watch?v=tQIsWprmxDA
[4] https://blogs.mediapart.fr/olivier-tonneau/blog/020217/benoit-hamon-chronique-d-un-renoncement-annonce?utm_source=facebook&utm_medium=social&utm_campaign=Sharing&xtor=CS3-66
[5] Les bons sondages vont d’ailleurs le pousser à ne pas trancher et donc à rester au milieu.
[6] L’addition Fillon + Macron (une politique économique de droite) fait 44% et l’addition le Pen + Fillon (une politique sociétale de droite) fait près de 50%
[7] https://www.youtube.com/watch?v=zQiLa3nS6jc&feature=share