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Le soir où l’Assemblée a repris le pouvoir

Depuis plusieurs semaines, les députés errent désabusés dans les couloirs de l’Assemblée. Il faut dire que la situation est pour le moins kafkaïenne. A une autre époque, elle aurait même pu inspirer une nouvelle à Milan Kundera, qui a su si bien décrire l’absurdité des sociétés bureaucratiques.

Imaginez : nous travaillons jours et nuits sur le Plan de Loi de Finance (PLF) et le Plan de Loi de Finance de la Sécurité Sociale (PLFSS), à écrire des amendements, à les défendre dans nos commissions, puis en commission des finances, et enfin en séance.

Tout ça pour rien !

Avec l’usage que le gouvernement fait de l’article 49.3, les débats sont stoppés, comme on abattrait un oiseau en plein vol, parfois avant même que les commissions aient pu les examiner. Pire, à la fin le gouvernement décide de façon totalement arbitraire des amendements qu’il retient. Il choisit même de ne pas retenir des amendements adoptés à une large majorité et émanant de sa propre majorité, comme la taxe sur les dividendes proposée par le Modem !

Tout notre travail est rayé d’un simple coup de crayon. Par exemple, aucun des amendements que j’avais proposé dans la première partie du PLF a été examiné.

Exit : les moyens pour faire payer les compagnies de croisière pour les pollutions que leurs activités génèrent avec notre proposition d’enfin taxer le gasoil lourd de ces bateaux et celle qui visait à créer une taxe de séjour pour contribuer à l’électrification des quais.

Exit : les moyens supplémentaires dédiés au transport pour les métropoles comme Aix-Marseille et mon amendement qui visait à permettre aux communes de plus de 100 000 habitants de fixer jusqu’à 2,95 % le taux du versement mobilité, que les entreprises doivent leur verser, comme c’est déjà le cas à Paris.

Que restera-t-il du rapport pour avis que j’ai déposé vendredi sur « l’Université et la Vie étudiante » et qui dresse un bilan de l’autonomie des universités ?

Rien probablement. Les 23 amendements que j’ai déposés en tant que rapporteur pour avis, ne seront même pas examinés en commission éducation, si le 49.3 intervient avant mercredi. Nous ne débattrons donc pas en séance d’une garantie d’autonomie pour les étudiants, de la gratuité de l’université, de la réforme des bourses, de la gratuité des repas pour les étudiants, de la sélection en licence (Parcoursup) et en master, ou du possible prolongement des contrats doctoraux. Nous discuterons pas non plus des effets délétères du « New Public Management », des moyens récurrents pour la recherche scientifique, ou des fonds ciblés pour la recherche finalisée en matière d’écologie, de transition écologique de notre agriculture, de développement durable, de rénovation des bâtiments, de sobriété énergique, et de santé. Tout sera décidé par le gouvernement, sans débat avec les parlementaires.

Alors parfois, dans ce champ de ruine où gît notre démocratie représentative, on se satisfait de minuscules victoires bien minces au regard des enjeux et qui seront de toute façon effacées par le pouvoir exécutif. Mais ces victoires sont importantes, car elles démontrent qu’une autre politique est possible. Elles illustrent aussi qu’une autre relation entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif est possible.

Vendredi, deux des amendements que j’ai défendu en séance ont été adoptés.

Adopté : 50 millions d’euros pour que les artistes-auteurs puissent bénéficier de droits élémentaires comme l’organisation d’élections professionnelles et un meilleur accès aux prestations sociales pour lesquelles ils cotisent[1].

Adopté : l’exonération des frais d’inscription des étudiants boursiers dans les écoles supérieures d’art territoriales compensée par un financement de l’État proposée par Sarah Legrain[2].

Mais c’est dans la nuit du 28 octobre 2022, que l’Assemblée Nationale a vraiment repris le pouvoir avec l’examen des crédits pour l’Outre-mer.

30 amendements, dont 22 émanant de la NUPES, ont été votés allouant ainsi 200 millions d’euros de crédits supplémentaires en faveur des Outre-mer. Plus de moyens pour les logements, les transports ou l’assainissement de l’eau dans ces départements et territoires d’outre-mer.

Les députés d’Outre-mer de tous les bords politiques ont ensuite voté à l’unanimité ce budget pour les Outre-mer. Si le gouvernement ne les retient pas avec le 49.3, cela démontrera tout son mépris pour nos compatriotes d’Outre-mer. Cette victoire de vendredi soir est une victoire de l’Assemblée sur le pouvoir exécutif.

Le roi est nu. Un sondage pour le Point estime que 63% des français désapprouve l’usage du 49.3 et cela atteint 80% pour ceux qui gagnent moins de 1000€ par mois ! 

Vendredi soir, il flottait sur l’assemblée comme un parfum de 6ème République, un espoir chimérique qui sera probablement guillotiné dès lundi.

[1] https://youtu.be/sruy57AJqC0

[2] https://youtube.com/shorts/i5Wanm4HyCc?feature=share