Pour un vrai plan d’adaptation de nos forêts au changement climatique
Mardi 2 août, nous avons présenté une proposition de loi visant à renforcer la résilience des forêts face aux effets du dérèglement climatique. Avec Mathilde Panot, nous expliquons dans cet article le contexte de cette proposition de loi et les mesures que nous défendons à La France insoumise sur ce sujet.
Le dérèglement climatique menace nos forêts avec des risques de cascades de perturbations incluant sécheresses, tempêtes, attaques de scolytes et méga feux. Les taux de mortalité des arbres augmentent déjà. L’analyse des inventaires forestiers le démontre aux USA[1] et au Canada[2]et le suivi des images satellitaires le confirme aussi en Europe[3]. L’accentuation des sécheresses est une des causes de ces mortalités croissantes[4]. Le dernier rapport du GIEC[5] conclut que les changements climatiques augmentent très fortement le risque d’incendies de forêts du fait de l’augmentation des températures et du dessèchement de la végétation. L’occurrence et la gravité des incendies se sont déjà accrues sous ces effets dans certaines zones du monde comme en Californie. En France aussi, nos forêts brûlent ! Mardi 12 juillet, deux incendies se sont déclarés en Gironde. Le bilan a été catastrophique : 20 800 hectares de forêt sont partis en fumée et 36 750 personnes ont été évacuées. D’après le Système européen d’information sur les incendies de forêt (EFFIS), plus de 47 000 hectares ont déjà brûlé en France depuis le début de l’année. Ces feux sont de plus en plus violents et plus précoces.
Or les forêts jouent un rôle important notamment dans l’atténuation du changement climatique puisqu’elles captent 36% de nos émissions à l’échelle mondiale[6] et constituent l’habitat d’une très grande biodiversité. Il est donc urgent de protéger nos forêts et d’adapter leur gestion au changement climatique. C’est l’objet de notre proposition de loi. Souvent, le législateur réagit après chaque épisode estival où les incendies concentrent alors l’attention médiatique, mais sa réflexion est insuffisante concernant le temps long. Il nous faut repenser dans la durée la gestion de la forêt et son adaptation au changement climatique pour que nos forêts soient plus résilientes aux différentes perturbations : feux sur les pins des Landes en 2022, attaques de scolytes sur les épicéas dans le nord-est de la France en 2021[7], dépérissement des hêtraies suite aux sécheresses de 2018 et 2019[8] ou dégâts massifs suite aux tempêtes Lothar et Martin de 1999[9]. La fréquence et l’intensité de ces différentes perturbations vont s’accroître avec le changement climatique. Elles peuvent potentiellement interagir entre elles : les tempêtes favorisant le bois mort et donc les attaques de scolytes l’année suivante, ces attaques sont d’autant plus fortes en cas de sécheresse et augmentent le risque d’incendies.
Des solutions existent pour adapter la forêt pour plus de biodiversité et un meilleur stockage de carbone, mais le préalable, selon nous, est de sortir la forêt de la logique industrielle et l’ONF de la contrainte de la vente de bois pour assurer sa solvabilité financière. En 2020, dans le cadre du plan de relance, le gouvernement a débloqué un budget de 150 millions d’euros dédié au reboisement forestier. Mais l’association Canopée forêts vivantes nous indique que ces fonds ont essentiellement servi à financer des projets de coupes rases suivies de plantations, le plus souvent en monoculture.
Une stratégie d’adaptation des forêts ne peut pas se résumer pas à un programme de plantation massif d’arbres au risque de créer des mal-adaptations en plantant, par exemple, massivement des essences exotiques[10]. Il faut penser une adaptation prudente de la forêt qui tienne compte de son caractère multifonctionnel : puits de carbone, gisement de biodiversité, prévention de l’érosion des sols, bois énergie, bois d’industrie et bois d’œuvre. L’article 1 de notre proposition de loi vise à inscrire dans les orientations générales de la politique forestière l’exclusion de certaines pratiques sylvicoles des objectifs de gestion de durable auxquels l’État doit veiller. Ainsi, les pratiques sylvicoles telles que les plantations monospécifiques et la conversion de forêts diversifiées en plantations monospécifiques ne peuvent être considérées comme relevant d’une « gestion durable ». Elles ne peuvent être contenues dans des documents de gestion et ne peuvent faire l’objet d’aides publiques.
Dans ce contexte, il faut d’abord favoriser la régénération naturelle des essences plus résistantes à la sécheresse, en accompagnant par la sylviculture la montée des étages de végétation. Nous devons aussi favoriser les mélanges souvent plus résilients à la sécheresse et aux attaques d’insectes, et qui constituent une stratégie plus prudente que les monocultures, car on augmente la probabilité qu’une des espèces survive aux perturbations. En 2020, une tribune d’une quarantaine de chercheurs expliquait qu’il faut prendre appui sur les avancées scientifiques pour mener une politique de diversification des forêts françaises[11]. Les conditionnalités relatives à la diversification des forêts sont insuffisantes et peu contraignantes. Il est indispensable de les renforcer avant d’injecter 1,4 milliard d’euros dans un nouveau programme d’adaptation de la forêt. L’article 2 de notre proposition de loi vise justement à conditionner les aides publiques à des objectifs écologiques de séquestration du carbone et de conservation. Et l’article 3 impose d’introduire dans les documents de gestion un volet biodiversité, un volet adaptation au dérèglement climatique et un volet consacré au risque incendie.
Nous devons assurer la continuité des couverts en évitant les coupes rases sauf en cas d’impasse sanitaire avérée. La sylviculture peut aussi être adaptée au risque de sécheresse en adaptant le rythme des éclaircies et au risque incendie en renforçant l’accès au massif pour les pompiers. Enfin, il faut absolument éviter la déforestation en zone tropicale par exemple pour l’exploitation de l’or en Guyane[12] ou du nickel en Nouvelle Calédonie[13].
Pour adapter nos forêts aux enjeux de demain, nous avons besoin de plus de moyens dans la recherche publique pour comprendre l’effet des changements climatiques sur les forêts. Les scientifiques ne sont pas assez nombreux à travailler sur ces sujets et les précaires trop nombreux à ne pas trouver de postes statutaires et donc à abandonner la recherche. L’article 7 de notre proposition de loi demande au gouvernement de financer un plan consacré à la recherche publique sur la résilience des forêts face aux effets du dérèglement climatique.
Nous avons aussi besoin de moyens pour l’ONF, qui est le service public garant d’une politique de gestion durable de nos forêts. Pour rappel, l’ONF a vu ses effectifs divisés par deux entre 1985 et 2021. Emmanuel Macron a continué la saignée avec 1000 emplois en moins sous le précédent quinquennat. Les agents de l’Office national des forêts dénoncent depuis de nombreuses années les conditions de travail dégradées auxquelles ils font face. Les souffrances au travail se sont multipliées, et nombreux sont ceux qui dénoncent un mal-être, une perte de sens dans leur travail. 54 agents se sont suicidés au cours des 15 dernières années, soit sur cette période, un taux de 34 pour 100 000 parmi les plus élevés du monde du travail. La casse du service public forestier doit cesser. Les syndicats demandent de longue date un financement à coût complet par l’État de l’Office national des forêts, afin qu’il puisse exercer l’ensemble de ses missions, estimé à hauteur d’un milliard d’euros, pour ne plus dépendre de la vente de bois. En 2020, la Convention Citoyenne pour le Climat, installée par le Président de la République lui-même, jugeait « impératif de pérenniser l’existence de l’Office National des Forêts et d’en augmenter les effectifs». L’article 4 de notre proposition de loi vise à sanctuariser les effectifs de l’Office national des forêts à leur niveau pré-tempête de 1999, et l’article 5 permet de garantir que le contrat entre l’État et l’Office finance l’ensemble des missions qui lui sont confiées par la loi.
Enfin, ce n’était pas l’objet de ce texte, mais nous devons aussi reconstruire la filière bois dans son ensemble pour favoriser les usages durables du bois avec la transformation locale du bois d’œuvre et du bois d’industrie (ex les papeteries), afin de réserver le bois énergie aux résidus de l’exploitation du bois d’œuvre. La France est une exportatrice nette de bois, notamment vers la Chine[14], pourtant notre balance commerciale est déficitaire (en 2020 8.5 Md€ d’exportations et 15.6 Md€ d’importation). Schématiquement, nous exportons du bois et importons des meubles. Nous avons besoin du renforcement des filières de lycées professionnels dans le secteur du bois. C’est tout le sens de la proposition faite pendant la campagne de créer des centres polytechniques professionnels. Mais le secteur industriel doit aussi être aidé par l’État pour favoriser l’implantation locale de scieries et menuiseries, afin de recouvrer une certaine souveraineté dans l’usage de nos bois.
Hendrik Davi & Mathilde Panot
[1] Mantgem, Phillip J. van, Nathan L. Stephenson, John C. Byrne, Lori D. Daniels, Jerry F. Franklin, Peter Z. Fulé, Mark E. Harmon, et al. « Widespread Increase of Tree Mortality Rates in the Western United States ». Science 323, no 5913 (23 janvier 2009): 521‑24. https://doi.org/10.1126/science.1165000.
[2] Peng, Changhui, Zhihai Ma, Xiangdong Lei, Qiuan Zhu, Huai Chen, Weifeng Wang, Shirong Liu, Weizhong Li, Xiuqin Fang, et Xiaolu Zhou. « A Drought-Induced Pervasive Increase in Tree Mortality across Canada’s Boreal Forests ». Nature Climate Change 1, nᵒ 9 (décembre 2011): 467‑71.https://doi.org/10.1038/nclimate1293.
[3] Senf, Cornelius, Dirk Pflugmacher, Yang Zhiqiang, Julius Sebald, Jan Knorn, Mathias Neumann, Patrick Hostert, et Rupert Seidl. « Canopy Mortality Has Doubled in Europe’s Temperate Forests over the Last Three Decades ». Nature Communications 9, nᵒ 1 (26 novembre 2018): 4978. https://doi.org/10.1038/s41467-018-07539-6.
[4] Allen, Craig D., Alison K. Macalady, Haroun Chenchouni, Dominique Bachelet, Nate McDowell, Michel Vennetier, Thomas Kitzberger, et al. « A global overview of drought and heat-induced tree mortality reveals emerging climate change risks for forests ».Forest Ecology and Management 259, nᵒ 4 (5 février 2010): 660‑84. https://doi.org/10.1016/j.foreco.2009.09.001.
[5] https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-working-group-ii/
[6] Friedlingstein, Pierre, Matthew W. Jones, Michael O’Sullivan, Robbie M. Andrew, Dorothee C. E. Bakker, Judith Hauck, Corinne Le Quéré, et al. « Global Carbon Budget 2021 ». Earth System Science Data 14, nᵒ 4 (26 avril 2022): 1917‑2005. https://doi.org/10.5194/essd-14-1917-2022.
[7] https://www.onf.fr/onf/+/2e0::epidemie-de-scolytes-les-forestiers-de-lonf-sur-le-front.html
[8] https://www.lavoixdunord.fr/654181/article/2019-10-19/victimes-de-la-secheresse-2500-hetres-vont-etre-abattus-dans-la-foret-de
[9] https://www.ouest-france.fr/meteo/tempete/entretien-la-foret-apres-1999-il-y-des-degats-invisibles-6670186
[10] Fady, Bruno, Hendrik Davi, Nicolas Martin-StPaul, et Julien Ruffault. « Caution Needed with the EU Forest Plantation Strategy for Offsetting Carbon Emissions ». New Forests, 7 janvier 2021. https://doi.org/10.1007/s11056-020-09830-1.
[11] https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/09/19/il-est-important-d-encourager-une-plus-grande-diversification-d-arbres-dans-les-forets-francaises_6052802_3232.html
[12] https://fne.asso.fr/dossiers/la-montagne-d-or-en-guyane-un-gouffre-environnemental-et-financier
[13] https://www.lesechos.fr/2012/08/nouvelle-caledonie-les-cicatrices-du-nickel-1094524
[14] https://www.lechodelabaie.fr/actualites/exportation-de-grumes-issues-des-forets-francaises-a-destination-des-scieries-chinoises-record-historique-en-juillet-2021-pour-le-chene-et-les-resineux/