Une autre loi de programmation est possible pour l’enseignement supérieur et la recherche
En réponse au projet actuellement présenté au Parlement par le gouvernement, des députés de La France insoumise proposent un plan de recrutement de fonctionnaires, l’augmentation du point d’indice ou la création d’un service public de l’édition scientifique.
Tribune. Depuis près de vingt ans, nous assistons à un démantèlement méthodique du service public de l’enseignement supérieur et la recherche (ESR). Ce processus vise à faire du savoir, sa production comme sa transmission, une marchandise comme les autres. 360 000 étudiants supplémentaires étaient attendus entre 2015 et 2025 avec l’augmentation de la natalité après 2000. Au lieu de se préparer à les accueillir, en créant plusieurs universités et des milliers de postes, la loi LRU a transféré aux universités la gestion de leur masse salariale, limitant les créations de postes, et la loi ORE a mis en place la sélection.
Les réformes successives ont transformé les chercheurs et enseignants-chercheurs en véritables entrepreneurs sommés de trouver des financements auprès d’appels à projets pour employer un nombre grandissant de précaires (34% dans l’ESR). Les collectifs de travail sont mis à tous les niveaux en compétition les uns avec les autres, ce qui conduit à la spirale infernale du «publish or perish» («publier ou périr») avec son lot de souffrance au travail, de perte de sens dans les métiers et de burn-out.
A ces logiques néolibérales de management s’est rajoutée une politique d’austérité budgétaire avec des universités et des établissements publics scientifiques et techniques (EPST, comme le CNRS, l’Inserm, l’Inrae, Inria) sous-dotés et dont les personnels sont très mal rémunérés (37% de moins que la moyenne de l’OCDE). Avec ces réformes, les étudiants ont de plus en plus de difficultés à choisir les filières de leur souhait et les conditions d’études n’ont pas cessé de se dégrader. Maintenant, l’étudiant est seulement considéré comme le bénéficiaire d’un service et non comme le membre de la communauté universitaire. La crise sanitaire a aggravé cette situation et la rentrée est chaotique à l’université comme dans les laboratoires. Règles de travail à distance, consignes sanitaires, la confusion est totale et les disparités sont très importantes selon les sites. La crise a aussi démontré les limites du travail à distance et du télé-enseignement.
Appels à projets
C’est dans ce contexte, que le gouvernement a choisi de passer en force une loi pour la recherche (LPR), qui aggravera ces erreurs au lieu de les résoudre. En effet, cette loi n’est pas à la hauteur concernant le budget, car elle ne permettra pas de dépasser un investissement de 0,8% du PIB dans l’effort de recherche publique, bien en deçà du 1% nécessaire selon la communauté scientifique. Pire, cette loi accentuera la précarité des financements et des personnels. En effet, toute l’augmentation du budget que prévoit la loi ira à l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui la redistribuera sous forme d’appels à projet.
Aucune augmentation des budgets récurrents des unités n’est donc prévue. D’autre part, la loi prévoit la création de deux nouveaux contrats, le CDI de mission et les chaires juniors. Les CDI de mission n’ont d’indéterminé que le nom, car toute mission réalisée de l’adjoint technique au chercheur dans le cadre d’un projet pourra être réalisée par des précaires en lieu et place des permanents. Les chaires juniors seront eux des jeunes chercheurs précaires qui auront vocation à être titularisés au bout de six ans en tant que professeur ou directeur de recherche, sans concours, en dérogation des règles actuelles. Ce dernier statut menace sur le long terme de remplacer les statuts de fonctionnaire de chargés de recherche et maîtres de conférences. Ce démantèlement du service public est un véritable gâchis.
Dans un contexte de crise écologique, sanitaire et sociale, nous avons plus besoin aujourd’hui qu’hier d’un service public produisant en toute indépendance des savoirs scientifiques de qualité et partageant ce savoir au plus grand nombre dans le cadre d’universités ouvertes. Une autre loi de programmation est possible avec l’ambition de refonder un service public de l’ESR bien doté en moyens et en personnels au service de l’intérêt général.
Garantir l’indépendance des scientifiques
L’indépendance des scientifiques vis-à-vis de tous les pouvoirs privés ou publics est fondamentale pour renouer la confiance entre la science et la société, mise à mal par les conflits d’intérêts et la société du spectacle. Nous pensons que le statut de fonctionnaire d’Etat est un des gages de cette indépendance. Nous proposons donc un plan pluriannuel sur dix ans de recrutements de fonctionnaires dans toutes les catégories.
La situation des précaires de l’ESR est dramatique. C’est un gâchis humain de voir tant de jeunes quitter la recherche faute de perspectives. Nous proposons une titularisation de tous les précaires, lorsqu’ils assurent des fonctions en réalité pérennes.
La revalorisation de tous les salaires doit se faire par une forte augmentation du point d’indice des fonctionnaires. Nous proposons en parallèle l’abolition de toutes les primes «au mérite» qui sont attribuées arbitrairement par les hiérarchies et créent des ambiances toxiques dans les collectifs de travail et la suppression du HCERES (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) pour mettre fin aux logiques de «néo-management» délétères qui mettent en place une concurrence généralisée sous couvert de promouvoir l’excellence.
Toute la communauté universitaire concourt à l’acquisition de la connaissance et ce travail doit être reconnu. La situation de précarité massive chez les étudiants est socialement admise, cela doit cesser et les étudiants doivent bénéficier d’un revenu qui leur permet de travailler sereinement. Le savoir produit doit pouvoir être partagé au plus grand nombre, c’est pourquoi nous proposons que l’université soit gratuite pour toutes et tous, y compris les étudiants étrangers. Tous les étudiants doivent bénéficier d’une allocation d’autonomie et nous proposons un plan ambitieux de construction et de rénovation du logement étudiant.
Pour mettre un terme à la précarité des financements et à la mise en compétition des équipes, nous proposons que le financement consacré aux «initiatives d’excellence» et à l’ANR puisse être redistribué aux unités sous forme de crédits récurrents pour permettre de développer des recherches sur le temps long. Les appels à projet doivent être réservés aux actions incitatives et grands équipements et peuvent être organisés directement par les instituts et universités.
Nous devons en finir avec la captation des savoirs par des groupes d’édition privés qui ensuite monnayent chèrement les publications. Nous proposons la création d’un service public de l’édition scientifique qui se réapproprie les contenus des revues scientifiques que nous avons cédés aux éditeurs privés. L’université doit aussi se doter de vraies capacités de vulgarisation scientifique. Toutes ces réformes requièrent un budget plus ambitieux que celui proposé avec a minima 5 milliards de plus pour le budget de l’ESR par an. Pour cela, il existe des réserves disponibles puisque le crédit impôt recherche, que nous suggérons d’abroger, coûte 7 milliards par an à l’Etat sans aucune augmentation de la recherche privée en contrepartie.
Signataires : Le groupe thématique enseignement supérieur et recherche de La France insoumise, le groupe thématique jeunesse de LFI, Muriel Ressiguier, députée LFI de l’Hérault, Michel Larive, député LFI de l’Ariège, Alexis Corbière, député LFI de Seine-Saint-Denis, Danièle Obono, députée LFI de Paris, Sabine Rubin, députée LFI de Seine-Saint-Denis, Bastien Lachaud, député LFI de Seine-Saint-Denis.