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Construire le front social et politique et la France Insoumise

Dans notre circonscription, le formidable travail de terrain des insoumis a payé et nous a portés au 1er tour et à un niveau exceptionnel au 2ème tour (48%) dans une circonscription historiquement de droite. Je fais un point après cette séquence sur nos tâches à venir.

Nos tâches sous l’ère Macron

Si nous laissons le calendrier électoral nous dicter nos tâches, nous subirons de forts reculs sociaux, mais surtout nous laissons la main à l’oligarchie pour organiser le jeu politique. C’est ce qui s’est passé à la dernière présidentielle, l’oligarchie politico-économique a malgré tout réussi à créer un phénomène politique (finalement Macron après avoir essayé Juppé et Fillon) pour sauver les meubles. Il faut donc essayer de bousculer ce calendrier en jouant des faiblesses du pouvoir de Macron. Macron est un ogre au pied d’argile. Il a réussi à unifier ceux qui défendent encore le système et à drainer un peu plus largement en jouant sur le renouvellement. Mais, il ne dispose pas de l’hégémonie idéologique. Le peuple français est toujours largement hostile aux politiques néolibérales (Macron + Fillon = 44% des exprimés). Sa majorité parlementaire est plus fragile qu’elle n’y paraît avec des néo députés pas si aisément contrôlables et des ex PS, Républicains, MODEM qui peuvent revenir à leur maison mère en cas de crise. Si le mouvement social bouscule le gouvernement, Macron peut se trouver obligé à organiser des élections anticipées. Pour que cela puisse avoir lieu, il faut d’un côté un mouvement social puissant et de l’autre une alternative politique idéologiquement solide.

L’autonomie relative des trois champs de bataille pour l’hégémonie

La bataille contre l’oligarchie se mène sur le domaine des idées (affrontement des valeurs), sur le terrain économique (répartition de la valeur entre le travail et le capital) et dans les institutions représentatives aux différentes échelles de la ville à l’Europe. Trois champs[1] structurent cette triple bataille. Le champ politique se donne comme objectif de gagner le pouvoir au sein des institutions, afin de modifier les règles du jeu. Le champ syndical règle les rapports de force au sein des entreprises et entre les entreprises et l’état. Le champ de la société civile est producteur d’une contre-société en idées (rôle des intellectuels), mais aussi en pratiques alternatives (galaxie associative). L’histoire française a conduit au cloisonnement de ces différents champs, notamment par le biais de la chartre d’Amiens. Cela conduit historiquement paradoxalement à des tendances au substitutisme. La logique anarcho-syndicaliste forte à Solidaires, mais aussi à la CGT vise à faire du syndicat l’organe politique de la transformation sociale avec comme perspective révolutionnaire la grève générale insurrectionnelle. Inversement, le PCF a longtemps utilisé la CGT comme courroie de transmission de sa ligne au sein du mouvement social ou plus récemment, NPA a cru pouvoir construire un parti mouvement. Il faut décloisonner ces champs pour bousculer l’oligarchie. Mais il faut le faire en respectant l’autonomie relative. En effet, les champs sont structurés en fonction de leurs objectifs propres décrits plus hauts. Un brouillage total des lignes affaiblit chacun des champs. C’est pour cela que la solution réside dans la construction d’un front où chacun conserve son autonomie, mais où tout le monde frappe en même temps dans la même direction

La construction concrète du front social et politique

Tout d’abord, nous ne savons pas quelle question fera sauter le baril de poudre. Certes, la question du Code du travail est centrale et la mobilisation contre la loi travail est un acquis indéniable. Mais l’histoire montre qu’on ne sait rarement prévoir d’où la révolte part. Il faudra donc être très attentif aux remontées des acteurs du mouvement social. L’étincelle pourra être les salaires, la précarité, la souffrance au travail, les retraites, les étudiants ou la casse des services publics. Il ne faut pas sous-estimer les affects dans tout ça, comme nous l’ont montré les révolutions arabes. Pour que ce front se construise dans la durée, il faut deux choses qui ont existé dans la campagne pour le NON de gauche : une plateforme nationale incluant des revendications claires et des comités de base. A mon avis il faut initier un cycle de rencontres, localement et nationalement, avec des syndicalistes, des partis de gauche et des responsables du monde associatif pour débattre assez ouvertement de ces deux aspects. Il est important d’apparaître comme ceux qui se mettent au service de cet objectif et non comme ceux qui veulent le contrôler pour des raisons tactiques (sinon la mayonnaise ne prendra pas), mais aussi stratégiques (nous n’avons pas la surface militante nous permettant de savoir quelle est la meilleure plateforme et quelles structures à la base sont acceptables par les syndicats). En gros il s’agit de rejouer Nuit Debout en mieux… Mais il faut aussi que ce front s’élargisse à la société civile et que donc que nous travaillions aussi aux luttes plus locales et aux alternatives concrètes tant sur le domaine social qu’environnementale.

La construction de la nouvelle force politique

La construction du front social et politique ne doit pas remplacer la nécessaire construction d’une composante politique, même si à terme les deux pourraient converger en cas de crise sociale majeure. La France Insoumise doit être le creuset de la construction en France d’une vraie alternative politique, mais aussi un exemple pour l’Europe. Vaste programme ! Il est évident qu’il ne faut pas revenir à un cadre de parti traditionnel, néanmoins il nous faudra répondre à certaines exigences démocratiques. Il faut d’abord arriver à conjuguer horizontalité et verticalité et surtout à résoudre l’épineux problème de la représentativité et du mandat de ceux qui détiennent, à une échelle ou une autre, un pouvoir vertical. L’horizontalité est le point fort de la France Insoumise. Mais la verticalité est nécessaire dans les prises de décision nationale, la légitimité de la prise de parole au nom du mouvement ou l’organisation de la coordination entre groupes. Cette nécessaire composante verticale a été assumée par le candidat à la présidentielle et ensuite en partie par les candidats et suppléants aux législatives. Nier cette composante verticale, c’est prendre le risque qu’elle se construise mécaniquement du fait des besoins, mais sans la nécessaire légitimité qui va avec. Or le pouvoir vertical doit tenir sa légitimité d’un accord de tous membres du mouvement. C’est la base de la souveraineté tellement bien décrite par Rousseau dans le Contrat Social. Surtout, la base du mouvement doit, par ses débats être capable d’enrichir les décisions du pouvoir vertical. Mais sans adhésion par cotisation, comment définir un corps électoral pour élire un représentant légitime à quelque échelle que ce soit ? Pour résoudre ces questions compliquées, nous pouvons nous appuyer sur ce qui a marché : la désignation des candidats par des réunions de groupes d’appui et le tirage au sort. Le respect du pluralisme est évidemment une autre question majeure. Mais l’envisager comme par le passé sous l’aspect du seul respect de courants existants est une erreur. En effet, les divergences réelles, actuelles et futures, au sein de la gauche de transformation sociale ne recouvrent pas les délimitations des anciennes forces. Si l’existence des différents espaces (politiques, des luttes…) est un point d’appui pour prendre en compte ce pluralisme, elle ne saurait suffire à terme. Il faudra imaginer un moyen de prendre en compte de façon structurelle, les pluralités de point de vue que feront émerger les nouvelles situations. La consultation par internet après débats au sein des groupes d’appui me semble une des pistes les plus prometteuses. Enfin, concernant la question du rassemblement avec d’autres forces, nous ne devons pas perdre de vue ce que nous voulons construire à long terme comme représentation politique. Nous ne souhaitons pas juste une alternance molle à Macron remettant en selle les idées et pratiques politiques d’une gauche plurielle relookée. Notre projet doit maintenir un cadre de rupture avec le social libéralisme avec trois piliers : VI république, planification écologique et redistribution des richesses. L’avenir en commun et la France Insoumise doivent donc être au cœur de la recomposition. La place que nous avons acquise avec la campagne présidentielle et avec les élections législatives nous permettent de jouer ce rôle central. Le PS allié au PCF et ce qui reste d’EELV vont tenter de se reconstruire par un profil « gauche ». Si nous devons en permanence travailler avec eux dans le cadre du Front social et politique, il ne faut pas se caler sur leurs calendriers et leurs méthodes pour la construction de la force politique. Si la mobilisation sociale aboutit à bousculer le pouvoir et obtient de nouvelles élections générales, évidemment la question du contour de la nouvelle force se posera différemment. Elle devra alors être élargie de façon assez naturelle à tout le contour du front social et politique, pour faire émerger un nouveau front populaire et écologiste.

Hendrik Davi 25 juin 2017

[1] C’est Bourdieu qui utilise beaucoup le concept de champ en important en sociologie un concept de la physique

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