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Entretien avec Alain Barlatier pour le blog PCDMQ

Propos recueillis par Alain Barlatier pour le blog PCDMQ

http://pcdmq.blogspot.com/2018/09/hendrick-davi-chercheur-en-ecologie.html?view=magazine

AB : Peux-tu, tout d’abord présenter le cadre dans lequel tu travailles et l’objet de tes recherches?

Je travaille comme chercheur à l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) à Avignon. Commençons par présenter cet institut. L’INRA est un organisme français de recherche en agronomie ayant le statut d’Établissement public à caractère scientifique et technologique (EPST). Il est sous la double tutelle du ministère chargé de la Recherche et du ministère chargé de l’Agriculture.

C’est le premier institut de recherche agronomique en Europe et le second dans le monde. L’INRA a été créé en 1946, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avec comme mission d’aider nos agriculteurs à “nourrir la France”, alors que la pénurie alimentaire s’étendait sur le territoire. La mission de l’INRA était d’associer science et technologie, afin d’améliorer les techniques de l’agriculture et de l’élevage. A l’époque, l’agriculture française ne permettait pas de subvenir aux besoins alimentaires du pays. Par conséquent, l’Institut s’est d’abord construit avec comme orientation la généralisation de l’agriculture intensive.

La production de la France est devenu suffisante pour subvenir aux besoins de la population à la fin des années 1960 et la France devient exportatrice de denrées alimentaires dans les années 70. L’INRA a donc progressivement réorienté ces objectifs. Aujourd’hui, les travaux de recherche de l’INRA se concentrent sur trois domaines, interdépendants : l’agriculture, l’alimentation et l’environnement.

En ce qui me concerne, je travaille sur les conséquences du réchauffement climatique sur la forêt méditerranéenne. Au sein de notre laboratoire, nous analysons tout particulièrement les menaces qui pèsent sur celle-ci, notamment en termes de risque de sécheresses, d’incendie ou d’espèces invasives. Nous participons aussi à la réflexion collective tant sur les capacités naturelles d’adaptation des forêts (acclimatation des arbres à de nouvelles conditions, évolution génétique), qu’aux enjeux liés à la gestion (remplacement d’espèces, modification de la sylviculture, suivi des zones protégées). Ce travail de recherche finalisée nous confronte à certains dossiers sociétaux chauds comme le changement climatique ou la question de la centrale électrique de Gardanne. J’aime ce métier, car il allie recherche fondamentale et recherche finalisée, réflexions théoriques et travail de terrain.

AB : Tu aimes à dire que ton engagement premier est un engagement syndical, qu’elle est ta conception du syndicalisme, comment celui-ci se positionne-t-il dans le cadre de votre institut ?

Je suis profondément attaché au service public, aux missions d’intérêt général qui nous sont confiées, à l’indépendance et à la stabilité professionnelle que le statut de fonctionnaire procure. Je pense sincèrement que ce statut préfigure ce que pourrait être le statut d’un salariat émancipé de l’exploitation et de l’oppression. Évidemment, nous ne pourrions pas en rester aux modes d’organisations de nos services publics actuelles, modes d’organisation qui sont aujourd’hui trop pyramidaux et bureaucratiques. Il faudrait les rendre plus démocratiques, prendre en compte le savoir des salariés et les ouvrir à la société civile.

Hélas, ce modèle est attaqué. Depuis 2005, la situation du service public de la recherche agronomique et forestière s’est dégradée, avec une baisse des effectifs de statutaires et une précarisation des financements et des personnels. L’INRA compte aujourd’hui 844 postes de fonctionnaires de moins qu’en 2005 et le recours au personnel précaire n’a cessé de s’accroître. La raréfaction des crédits pérennes a induit une mutation de la recherche, qui ne fonctionne plus maintenant que sur le mode de projets pluriannuels obtenus en réponse à des appels d’offres. Ces dispositifs contraignent les personnels à passer de plus en plus de temps à soumettre une quantité croissante de projets à un millefeuille kafkaïen de guichets. Cette nouvelle bureaucratie pèse sur les individus, fragilisent les collectifs de recherche et coûtent du temps et de l’argent. Cette politique ne nous permet plus de travailler sur le long terme et sert souvent à mettre la recherche publique au service d’intérêts économiques privés, menaçant l’indépendance de nos travaux, et fragilisant ainsi la confiance des citoyens. Enfin, le « publish or perish » menace les fondements même de l’activité scientifique. Plus récemment, notre fusion avec un autre institut de recherche finalisé (IRSTEA) dans un contexte d’austérité et d’attaque généralisée de la fonction publique (le programme de Macron articulé autour de CAP22), fait peser de lourdes incertitudes quant à la pérennité des missions de services publics que nous rendons.

Les salariés précarisés et déstabilisés par les nouveaux modes de gestion managériale de la science sont en très grande souffrance. On ne compte plus les « burn out », voir même les suicides. C’est toutes ces raisons qui m’ont poussé à m’engager syndicalement au sein de la CGT-INRA dès mon arrivé à l’INRA, pour défendre les salariés, mais aussi le service public auquel nous sommes tous collectivement profondément attachés. Je me suis naturellement investi dans l’organisation syndicale la plus importante et la plus combative au sein de l’INRA. Je suis aujourd’hui membre de son secrétariat national et la représente notamment au conseil scientifique de l’institut. Ce syndicat actif dans sa fédération porte une ligne radicale et combative qui me correspond bien. Nous sommes aussi force de proposition sur la marchandisation du vivant ou sur la revendication de crédits plus récurrents[1].

AB : Tu es chercheur dans un domaine investi par le politique (l’écologie), quel lien peux-tu établir entre tes travaux de recherche et ta réflexion politique ?

Je suis attaché à l’indépendance, à l’objectivité et la spécificité du savoir scientifique et je suis contre son instrumentalisation par le politique (comme les staliniens l’ont abondamment fait en Union Soviétique ou ailleurs). Je me suis rendu compte de l’importance de ce problème quand a éclaté la polémique autour des climato-sceptiques. Pour certains citoyens l’avis d’un scientifique donné, souvent médiatisé (Allègre pour ne pas le nommer), avait la même valeur que l’avis collégial d’une communauté épistémique. Certains scientifiques étaient utilisés par des lobbys privés comme des météorologistes payés par Total. Naomie Klein dans son ouvrage intitulé « Capitalisme et changement climatique, comment tout peut changer ? » décrit admirablement bien comment les grandes multinationales tentent par des réseaux d’influence d’acheter des cautions scientifiques. Dans un autre registre, les politiques néolibérales ont été menées sous couvert d’une certaine expertise scientifique économique. Mais même certains économistes néo-classiques que j’ai pu rencontrer expliquent que la privatisation du rail est une aberration du point de vue du marché…

Selon moi la solution n’est pas d’allumer des contre-feux qui utiliseraient les mêmes méthodes, mais pour une bonne cause, méthodes qui vont de la falsification des résultats à une logique communicationnelle trompeuse. Autrement dit, on ne doit pas mentir par rapport à nos connaissances, même si c’est pour ce que nous considérerons comme de l’intérêt général. Seule la vérité est « vraiment » révolutionnaire.

Or la production de verissimilitudes -en fait la vérité n’existe pas, on l’approxime toujours- est un processus lent et collaboratif dans lequel deux principes jouent un rôle central : (1) en dernier lieu c’est la confrontation aux faits[2] qui tranchent (2) et c’est par la critique organisée qui requiert donc logique et rigueur que l’on progresse. C’est ce processus éminemment collectif qui nous permet de mieux comprendre le monde dans lequel on vit pour le meilleur et pour le pire. Ce savoir scientifique et son prolongement technique a une efficacité certaine pour agir rationnellement et pour le mieux dans le monde, mais cette efficacité en fait aussi un champ de bataille pour les pouvoirs de toute sorte.

Selon moi, le savoir scientifique est un savoir complémentaire des autres savoirs, il ne doit pas être surplombant, mais accompagnant « à côté ». De plus, ce savoir est de par sa nature disciplinaire et parcellaire. Il peut rarement donner des solutions clés en main sur des sujets complexes. Une république des experts n’est donc pas possible, mais elle n’est pas non plus souhaitable. La décision doit toujours être laissée aux citoyens par le biais de processus démocratiques. Mais ces citoyens doivent pouvoir être éclairés à la fois par ce savoir scientifique, qui a une valeur spécifique, mais aussi par les savoirs concrets de tous les acteurs. Les conférences de citoyens sont de beaux exemples de construction de décisions partagées et éclairées par ces différents types de savoir.

Pour toutes ces raisons, le scientifique a une place spécifique et doit conserver une certaine autonomie de pensée et une indépendance vis-à-vis de tous les pouvoirs politiques ou religieux. Mais indépendance ne signifie pas indifférence. Mais quand il parle en tant que scientifique (et il vaut mieux que cette parole soit collective et procède d’une vraie expertise), son point de vue politique ou religieux ne doit pas interférer avec la façon dont il analyse les données.

Nous pouvons dépasser cette difficulté à l’aide d’expertises collectives qui permettent des expressions collectives rigoureuses sur de grands enjeux de société. Pour le climat, le GIEC (Groupement International des Experts sur le Climat) est un bon exemple. Le collectif permet de garantir l’objectivité et résout en partie le problème de la parcellisation des savoirs.

Mais je considère que la France est mal organisée pour aller dans cette direction. Le cloisonnement entre grandes écoles et universités fait que nos « décideurs » économiques et « politiques » sont extrêmement consanguins et connaissent mal le monde académique. Le manque de doctorants dans les grandes entreprises et dans les cabinets ministériels est un frein pour l’innovation et pour le transfert des savoirs. C’est pour cette raison, que nous souhaitons à la France Insoumise que les grandes écoles reviennent sous la tutelle des universités et que le doctorat soit reconnu dans les conventions collectives.

 

AB : Peux-tu éclairer cet aspect avec le cas de la centrale de Gardanne ?

C’est un cas emblématique du cloisonnement entre la recherche et du monde de la décision. Tout d’abord, cette décision (la transformation de la centrale électrique -thermique- qui fonctionnait au charbon en centrale utilisant la biomasse – le bois- comme énergie primaire) a été prise par le gouvernement Sarkozy. Il fallait alors, atteindre un pourcentage de biomasse (énergie primaire) dans la production d’énergie électrique (énergie secondaire) pour respecter les engagements du Grenelle de l’environnement.

Les questions d’impact sur la forêt méditerranéenne n’ont pas été étudiées.L’INRA qui est un institut de recherche public et qui a aussi pour mission d’éclairer les prises de décisions publiques n’a même pas été consulté. C’est tout dire de l’absence de lien entre appareil d’Etat et Institut de recherche scientifique. Certaines des études d’impact ont été réalisées par des cabinets privés, qui parfois n’ont jamais travaillé dans le domaine forestier ! Or ce sujet est complexe et mériterait une étude approfondie que pourraient mener les instituts publics de recherche, si on les sollicitait et si on leur donnait les moyens de travailler.

D’un côté, la surface forestière s’est fortement accrue dans nos régions du fait de la déprise agricole et la forêt y est globalement sous exploitée. De plus, une gestion un peu plus intensive de certains massifs pourrait réduire le risque d’incendie et améliorer la santé des arbres qui souffrent d’autant plus du manque d’eau que les peuplements sont denses. Mais la difficulté d’accès de certaines forêts et le morcellement de la propriété rendent probables une surexploitation de certains massifs et l’absence d’exploitations d’autres forêts. Le citoyen, l’écologiste comme le conseiller régional auraient besoin d’analyses rigoureuses et collectives sur lesquelles baser la décision publique.

Personnellement, en tant que citoyen, je pense qu’il n’est pas souhaitable de bruler des forêts pour produire de l’électricité (pour la chaleur c’est un autre débat). Il vaut mieux diminuer notre consommation globale d’électricité et augmenter la part des autres énergies renouvelables. Ce qui signifie qu’il faut investir massivement et très vite des milliards dans les transports en commun (notamment le train que le gouvernement veut privatiser en dépit du bon sens), les modes de déplacement alternatif et l’isolement des logements. La tâche, notamment à Marseille est donc immense. De ce point de vue, les théories sur « le fin du travail » sonnent comme une vaste blague. Par ailleurs, la seule année où la production de Gaz à Effet de Serre (GES) a diminué, c’est en 2008 à l’occasion de la crise financière ! Et encore, cette diminution était très faible. Tout cela démontre bien que pour préserver la planète, il faut sérieusement envisager une sortie du capitalisme, car ce système a structurellement besoin d’une croissance d’activités néfastes pour la planète pour accumuler suffisamment de capital pour assurer sa reproduction.

Mais ce point de vue politique ne doit pas m’empêcher de produire en tant que scientifique des données objectives quant aux impacts positifs et négatifs d’une telle centrale sur nos forêts. C’est en cela que je pense qu’il est nécessaire de cloisonner d’une certaine manière les activités scientifiques et politiques.

AB : Quelle est ta conception de l’engagement dans les combats de la société, comment t’es-tu positionné tout au long de ton expérience militante, tant individuellement que collectivement ?

Je pense qu’il y a un lien dialectique fort entre l’engagement individuel et le combat collectif, qui n’a pas toujours été bien pensé dans les organisations se réclamant du marxisme. L’individu, son parcours, son expérience propre, était souvent sommé de s’effacer au détriment de la superstructure que ce soit dans les partis politiques où dans les appareils d’état mis en place après différents processus révolutionnaires. Et quand celui-ci (l’individu) était pris en compte, c’était souvent dans le cadre du culte de la personnalité.

Mon engagement est lié à l’histoire de ma famille. Mes arrière-grands-parents paternels ont fui l’Italie fasciste et les chemises noires qui terrorisaient les campagnes italiennes. Ma grand-mère venait d’une famille très pauvre, qui vivait dans la même rue que Maurice Thorez. Son père avait été mutilé durant la guerre d’Indochine. Elle est devenue ouvrière à 16 ans et en tirait une grande fierté. C’est cette histoire qui a construit politiquement mon père qui après 1968, s’est engagé à la CGT et au PCF. Du côté de ma mère, plutôt maoïste, sa trajectoire est moins ouvrière, mais tout aussi chargée d’histoire, puisque mon grand-père maternel était officier allemand occupant Savigny sur Orge…

Cette histoire m’a construit une conscience politique, mais le militantisme c’est autre chose. Pour moi, le point de départ c’est la mobilisation des cheminots en 1995 pour la défense de la sécurité sociale et des régimes de retraite. Paris était paralysé, les manifestations étaient massives, la répression aussi. J’étais en classes préparatoires à Saint-Louis et nous avons même réussi à faire débrayer notre lycée, tellement l’effervescence était forte dans le Quartier Latin. Cette mobilisation sociale a été victorieuse et a eu des effets importants sur la vie politique (dissolution de l’Assemblée Nationale, victoire de la gauche qui s’en est suivie, Jospin Premier Ministre, Gauche plurielle…). L’autre moment symbolique fort de mon engagement fut ma participation au contre G8 à Gênes et la répression policière qui a conduit à la mort de Carlos Guilani. Si 1995 a décidé de mon engagement à gauche, Gênes m’a conduit vers l’anticapitalisme.

AB : Ton itinéraire politique épouse en partie l’évolution des courants « de gauche » dans la France contemporaine et en Europe. Peux-tu nous le décrire? Quelle approche as-tu du concept de « révolution citoyenne » ?

Critique des régimes autoritaires et passionné d’écologie, j’ai débuté mon militantisme politique assez naturellement chez les Verts. Mais j’ai rapidement quitté cette organisation quand il a été question d’intégrer le gouvernement Jospin (1997-2002) et qu’il a fallu cautionner l’intervention militaire dans l’ex-Yougoslavie. J’ai repris mon engagement plus tard à l’université d’Orsay d’abord dans les mouvements anti-guerre (Afghanistan et Irak) puis dans le mouvement altermondialiste dans le cadre d’ATTAC. C’est au cours de cette période activiste que j’ai rejoint la LCR après 2002.

J’ai toujours eu des désaccords stratégiques avec la ligne de la LCR, puis celle du NPA. Si les grèves de masse constituent des moments cruciaux dans le rapport de force vis-à-vis des classes dirigeantes, je ne pense pas que la révolution puisse procéder d’une grève générale. Je considère que le développement d’alternatives concrètes et les victoires électorales constituent des outils dans notre combat tout aussi important que les grèves. Mais comme je considérais que le dépassement de la LCR était une bonne chose, j’ai construit le NPA à Avignon. Je ne l’ai pas regretté, car j’ai beaucoup appris en militant avec les jeunes des quartiers d’Avignon qui nous ont rejoints à cette époque. Mais j’ai rapidement constaté que le NPA était devenu une organisation attrape-tout sans boussole, animé par une logique parfois sectaire et j’ai décidé de la quitter. J’ai rejoint alors le Front de gauche et j’ai fait la campagne de Jean-Luc Mélenchon en 2012. J’ai ensuite participé à la construction d’Ensemble avec d’autres militants essentiellement issus du NPA, de la LCR ou du PCF. Localement, sur la Plaine nous avons essayé de dépasser la logique du cartel en construisant une association des amis du Front de Gauche. Cette dynamique a été assez porteuse puisque 2/3 des membres étaient non encartés dans un des partis fondateurs du FDG. Mais, hélas cette expérience ne fut pas généralisée ailleurs, notamment à cause du refus du PCF de se dissoudre dans le FDG.

Pour moi la campagne des élections régionales de 2015 a été une étape révélatrice de l’impasse dans laquelle nous étions. Ensemble s’est investi pour permettre le rapprochement entre EELV (Sophie Camard) et le PCF (JM Coppola) entrainant dans son sillage d’autres forces (PG, Ensemble, divers courants associatifs). Or le résultat obtenu (6,54%) a été extrêmement décevant et j’ai compris à ce moment-là que la logique des cartels, des alliances d’appareils politiques construits par en haut conduisait à une impasse. Elle ne correspondait plus à la situation politique du moment. Il fallait passer à autre chose et construire autrement l’alternative politique.

La candidature de JL Mélenchon a alors agi comme un déclic, s’appuyant sur le score des présidentielles de 2012, JLM refusait de rentrer dans la logique des primaires, il lançait un nouveau mouvement politique (différent d’un parti traditionnel), la France insoumise. Je me suis dit qu’il fallait accompagner cette démarche, quitte à l’améliorer en cours de route, à contribuer à lui donner un cadre plus collectif, mais l’essentiel était là. D’emblée, j’ai senti la dynamique qui s’instaurait. 

Après les présidentielles, j’ai été candidat aux élections législatives à Marseille (près de 49% des voix au second tour). Ce fut une expérience passionnante où collectivement nous avons réussi à créer une superbe dynamique qui a battu la droite et le dauphin de Gaudin au premier tour.

Au sein de la France Insoumise, j’ai aussi été corédacteur du livret « Le choix du savoir » sur l’enseignement supérieur et la recherche[3]. Nous avons construit une équipe active qui continue à fonctionner : journées d’étude à l’Assemblée Nationale, préparation d’un appel international sur le sujet, rédaction d’une version longue du livret et diffusion régulière d’une newsletter… Enfin je continue à militer dans un Groupe d’Action local « la Meute », et quand je le peux je participe aux actions organisées par les Insoumis de Marseille.

Pour moi, la révolution « citoyenne » consiste à mettre en œuvre une stratégie fondée sur trois pôles : luttes sociales, alternatives concrètes et victoires électorales. D’abord, les luttes sociales, comme les luttes écologistes sont centrales pour changer le rapport de force et remporter des victoires. Le principal problème auquel nous sommes confrontés est que la stratégie de choc du pouvoir consiste à ne jamais céder, ce qui tend depuis 10 ans à décourager les acteurs du front social et politique qui s’opposent à ces attaques multiples. Le second tripode stratégique est la construction patiente d’alternatives concrètes et le renforcement de l’auto-organisation des populations. Le mouvement alternatiba  a joué un rôle important en ce sens en 2015 sur les questions climatiques. L’auto-organisation est aussi mise en avant tant par les mouvements anarchistes, écologistes, que par le NPA ou plus récemment par la FI. Néanmoins luttes sociales et pratiques alternatives trouvent leurs limites, car le pouvoir de l’État demeure très fort tant en termes de répressions, qu’en termes de levier pour réellement opérer un changement vers une économie plus sociale et écologique. Le troisième tripode est la participation aux élections pour obtenir des victoires électorales locales, régionales ou nationales. Le score de Jean-Luc Mélenchon en 2017 est dans ce cadre historique (près de 20%).

Je pense que les mouvements sont le lieu de rencontre de ces trois univers (luttes sociales, pratiques alternatives et batailles électorales), qui doivent converger tout en gardant une certaine indépendance : le syndicat ne doit pas être la courroie de transmission du politique, comme les pratiques alternatives ne doivent pas être instrumentées par le pouvoir politique.

 

AB : Selon toi, quelles sont les perspectives politiques pour les organisations de transformation sociale et pour la France insoumise en particulier ?

De mon point de vue il est d’abord nécessaire d’infliger une défaite sociale à Macron. Il n’y a pas probablement d’autres voies qu’un mouvement d’ensemble radical associant manifestation de masse, grève et occupation de lieux de vie ou de lieux de travail. Il faudra alors approfondir l’organisation d’un front social et politique qui a émergé en 2018, d’abord à Marseille, et voir comment mieux articuler les forces politiques, syndicales et associatives.

D’autre part, pour que les perspectives politiques demeurent ouvertes, il est nécessaire que la FI maintienne son hégémonie politique à gauche. Ceci passe par de bons résultats aux élections municipales et européennes. Pour les municipales, la difficulté sera d’initier le plus largement possible des listes citoyennes à partir de FI. Pour réussir ces deux échéances, et surtout construire une nouvelle génération de militants, il est probablement nécessaire de gagner en efficacité et en démocratie interne. En effet, la FI est caractérisée par une grande horizontalité avec des groupes d’action locaux et thématiques très autonomes et divers, mais aussi par une verticalité concernant quelques questions essentielles dont la gestion est assurée par une équipe d’animation trop restreinte. Comment rester un mouvement dynamique et large (entre 50 000 et 100 000 sympathisants) en étant efficace et démocratique ? C’est une question très complexe que nous devons affronter en nous inspirant d’expériences existantes et en ouvrant assez largement ce débat. Par ailleurs, la régénération de la FI passe aussi par une action positive et structurante au sein d’un front social et politique plus large. Il n’y a pas d’étanchéité entre la construction collective du mouvement social, des réussites au niveau électoral et la construction interne de la FI : tout est mêlé. 

Pour obtenir des victoires électorales, il est nécessaire d’élargir la base sociale qui vote pour nous. Cela passe évidemment par un travail idéologique inclusif en direction de certaines couches de la population. Mais cela dépend aussi de notre capacité à rompre avec d’anciens codes pour être en mesure de toucher un électorat historiquement de droite sans en renier d’autres. L’équation est difficile et selon les situations, il est possible qu’il faille adopter plutôt une logique de rassemblement de la gauche ou une orientation plus « populiste » pour fédérer le peuple. Je pense que d’un point de vue stratégique l’opposition entre ces deux modes de rassemblement est stérile.

Dans ce contexte, Marseille, comme volcan bouillonnant concentrant toutes les contradictions de la société française, me semble un enjeu stratégique crucial. Imaginons l’impact sur le rapport de force général, si la FI arrive en tête à Marseille aux Européennes, voir fait basculer la seconde ville de France à gauche ! J’essaierai donc de contribuer à ce que nos campagnes européennes (nous avons ici trois candidats / porte-paroles formidables) et municipales soient des réussites dans la cité phocéenne.

 

Hendrik Davi

[1] https://www.change.org/p/fr%C3%A9d%C3%A9rique-vidal-un-financement-p%C3%A9renne-pour-une-recherche-scientifique-ind%C3%A9pendante-et-de-qualit%C3%A9-30cd1f5c-7059-424e-8b7d-545965cb1694

[2]Même si nous devons avoir conscience que les faits sont toujours socialement et techniquement construits

[3] https://avenirencommun.fr/livret-de-lenseignement-de-recherche/

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