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La recherche agronomique est-elle en mesure de répondre aux défis posés à l’agriculture?

Article que j’ai écrit pour la revue Progressiste le numéro de Avril-Mai-Juin 2015

http://progressistes.pcf.fr/

 

L’objectif de cet article est de voir comment l’INRA, et plus largement le dispositif de recherche et d’enseignement supérieur, peuvent être un outil au service des nécessaires mutations de l’agriculture. L’objectif de l’agriculture pourrait se résumer ainsi : mieux nourrir l’humanité tout en préservant l’environnement et la santé des travailleurs. Ces objectifs ne sont hélas pas atteints. Aujourd’hui, 1 milliard de personnes souffrent de la faim dans le monde. L’obésité et les complications qui lui sont associées comme le diabète et les maladies cardiovasculaires concernent 35 % des adultes. Les sols, les eaux de surface et souterraines sont largement pollués par les nitrates et pesticides du fait de l’usage massif de produits phytosanitaires. L’agriculture est aussi une très forte consommatrice d’eau sous forme d’irrigation et elle est responsable de 12% des émissions de GES[1]. Enfin, le bilan social n’est guère meilleur. La population d’agriculteurs ne cesse de baisser. Ils cultivent des surfaces de plus en plus importantes souvent au détriment de leur santé, car ils sont plus touchés que d’autres professions par certains types de cancers, les suicides et les accidents au travail, tout cela pour des salaires faibles.

 

Dans ce contexte dégradé, les deux grands défis auxquels va devoir faire face l’agriculture de demain sont d’assurer la sécurité alimentaire d’une population mondiale en croissance et d’opérer la nécessaire transition écologique du système agricole.

 

Actuellement de 7.3 milliards (Asie 60%, Afrique 16%, Europe 10%) la population mondiale sera comprise entre 7 et 16 Milliards en 2100 (Asie 43%, Afrique 38%, Europe 6%). Or les potentialités de productions présentes et futures sont inégalement réparties et seront conditionnées par le réchauffement climatique et le manque de terres arables. De plus, la modification des comportements alimentaires est une tendance lourde qu’il sera difficile d’inverser. Le coût écologique de notre modèle agricole n’est par ailleurs plus supportable. Ce modèle basé sur la mécanisation, la sélection génétique et les intrants a été efficient, car il a permis une hausse exceptionnelle des rendements. Mais à long terme, il n’est pas durable, car en plus d’être trop polluant, il est basé sur l’usage massif des énergies fossiles. Il faut donc le transformer pour aller vers une agriculture écologique, qui tire parti des ressources génétiques existantes, des savoirs vernaculaires des agriculteurs, mais aussi des avancées dans les sciences écologiques et agronomiques.  Hélas, nous n’allons pas dans le bon sens : libéralisation des échanges et spéculation des multinationales ou marchandisation du vivant…Ces choix néolibéraux imprègnent aussi les objectifs dévolus à l’enseignement supérieur et la recherche agronomique, qui subissent eux-mêmes des mutations.

 

La science est un champ social particulier dont l’évolution dépend à la fois de causes externes (l’organisation du champ scientifique et ses relations avec les autres champs politiques ou économiques) et de ces dynamiques internes (transformation des techniques, révolutions scientifiques). Le service public de la recherche subit une remise en question sans précédent du fait de la stratégie de choc néolibéral. La recherche et la justification de financements phagocytent le temps passé à la recherche. La précarité devient le sort d’un nombre grandissant de personnels. La mise sous pression du personnel par primes individualisées et évaluations menace les collectifs de travail. Enfin, la course aux publications, qui sert les grands groupes de l’édition, dénature la production scientifique et en complique la diffusion…Ces mutations profondes sont la conséquence de trois orientations définies par l’UE : (i) gagner la compétition de l’excellence[2] et faire de la science une marchandise presque comme les autres (ii) mettre la science au service de l’innovation des entreprises privées en territorialisant les recherches (iii) augmenter la productivité des agents par des réformes managériales. Cela se traduit aussi par des budgets en berne et une réorientation des crédits vers le privé par le biais du CIR[3]. A terme, un des objectifs est aussi de faire payer par l’endettement des étudiants[4], l’innovation des entreprises afin d’améliorer leur compétitivité.

 

Ce contexte se traduit aussi par une exigence répétée d’impact pour la recherche[5]. Il est évident qu’un institut de recherche finalisée doit se soucier du lien avec les acteurs de l’agriculture. Mais ce n’est pas en mettant des industriels au sein des CA des universités ou en créant des rapprochements territorialisés au sein des nouvelles COMUEs[6] entre entreprises et enseignement supérieur que l’on développera les innovations nécessaires pour la transition écologique de l’agriculture. Souvent, les partenaires envisagés sont les multinationales de l’amont et de l’aval qui n’ont aucun intérêt à cette transition et le risque pour les scientifiques est d’être instrumenter par ces grands groupes à leurs seuls profits et de perdre par la même la confiance des citoyens.

 

Les sciences agronomiques sont aussi percutées par des dynamiques internes. Le développement des techniques de séquençage du génome ou de phénotypage à haut débit de la molécule (protéomique, analyse chimique, isotope) à l’écosystème (mesures intégrées de flux, télédétection…) conduit à une explosion des données. Cet accroissement des données se conjugue à une augmentation des capacités de calcul. Les outils mathématiques et les modèles sont de plus en plus complexes et connectés dynamiquement aux données. Ces développements ouvrent la porte à la création de nouveaux outils d’aide à la décision (indicateurs, logiciels sur tablettes, modèle de gestion des écosystèmes) qui peuvent être intéressants pour la société, mais qui peuvent aussi être captés par l’agrobusiness.

 

Pour conclure, la science actuelle dans le contexte libéral n’est pas en mesure de répondre aux enjeux, elle est même en danger. Mais des marges de manœuvre existent, notamment parce que des pratiques et recherches alternatives se développent, mais aussi, car l’idée d’une transition écologique de l’agriculture fait son chemin chez les politiques et les scientifiques, même si nous ne devons pas ignorer le risque de récupérations par l’agrobuissness[7]. Nous devons par nos luttes et nos pratiques défendre différents axes, qui nous permettront d’être utiles à cette transition de l’agriculture :

 

  1. Défendre le service public, le statut de fonctionnaire, l’intégrité des instituts de recherche nationaux (CNRS, INRA) et des dotations récurrentes, pour une recherche indépendante des lobbys.
  2. Combattre la marchandisation du savoir (édition scientifique) et du vivant (OGMs, brevets).
  3. Développer une recherche ambitieuse dont les objectifs finalisés -souveraineté alimentaire et transition écologique- ne doivent pas limiter la diversité des approches (holisme ou réductionnisme, modélisation ou expérimentation…), seule garantie d’une recherche efficace sur le long terme.
  4. Développer les recherches en sciences sociales pour produire autrement, hors du cadre néolibéral, de façon à être à la fois efficace, écologiquement durable et socialement juste.
  5. Défendre les instituts techniques et promouvoir une recherche participative, qui fait le lien avec les citoyens et les acteurs alternatifs qui mettent déjà en œuvre les objectifs de la souveraineté alimentaire : relocalisation de la production, agriculture écologique multi-services, polyculture…
  6. Mieux associer la recherche, l’enseignement supérieur et l’enseignement général pour partager les nouveaux savoirs, tout en respectant les prérogatives de chacun.

 

[1] GES= Gaz à effet de serre, ce chiffre monte à 20% pour la France

[2] Cela se traduit par toutes les initiatives d’excellence mises en place sous les gouvernements de droite et poursuivit par Hollande : LABEX, EQUIPEX, IDEX, ISITE…

[3] Crédit Impôt Recherche critiqué par la cours des comptes, des parlementaires et des associations !

[4] Cet endettement dépasse les dettes immobilières aujourd’hui aux USA (source le Monde 18 Fev. 2015)

[5] Le nouveau slogan de l’INRA est « science pour l’impact »

[6] Communautés d’Université et d’Etablissement

[7] En cours pour une partie de l’agriculture bio dont les produits peuvent venir de loin (pas de relocalisation) et employer de la main-d’œuvre à bas coût.

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