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Penser l’alternative politique pour une sortie du capitalisme

Le 12 octobre 2010 est une grande journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Derrière cette mobilisation des salariés et des jeunes, il n’y a pas seulement l’opposition à une « réforme », mais aussi le refus d’une politique libérale au seul profit des actionnaires du CAC40. A ce titre, le débat sur les retraites est intéressant car l’objet est bien de faire une réforme en faisant encore une fois payer les seuls salariés. Cette lutte entre classes sociales aux intérêts antagonistes est la suite d’un long processus de grève de masse initié en 1995 ; le mouvement altermondialiste, mai-juin 2003, le NON au TCE, les émeutes de 2005, puis la victoire du CPE en ont été les principaux développements[1].

 

Depuis 1983, 10% de la part des richesses a été volée aux salariés pour enrichir le capital. Or ce rapt a été permis dans un contexte de dérégulation des économies partout en Europe à la fois par les gouvernements de droite, mais aussi de gauche. Cela signifie qu’il y a aucune chance pour que le docteur Strauss-Kahn (ou son alter ego Aubry), qui en tant que président du FMI promeut la cure d’austérité, mène une politique en notre faveur.

 

Dans ce contexte, nous devons demander le départ de Sarkozy avant 2012 car il est illégitime au vu des mobilisations (la réforme des retraites n’était d’ailleurs pas dans son programme). Mais surtout nous devons construire une alternative crédible pour 2012, qui soit en mesure de battre le PS au premier tour et de battre la droite au second. Cela paraît irréaliste et idéaliste diront certains, pourtant même si la probabilité d’y arriver est faible, c’est le seul pari sensé que nous pouvons faire en face de la monté des inégalités d’une part et du racisme/ fascisme d’autre part. La droite extrême et l’extrême droite ne cessent de profiter de ce climat de peurs et d’islamophobie en permanence distillé. Elles y arrivent d’autant plus qu’elles sont parfois rejointes hélas par la gauche. En France cet été, nous avons dépassé les bornes de l’acceptable avec une circulaire sur les Roms digne de Vichy. En Autriche, aux Pays Bas, en Suède l’extrême droite progresse ; le risque est donc européen. Nous vivons bien donc bien des années trente au ralenti. Le temps nous est compté.

 

C’est cette nécessité d’alternative qui devrait pousser toutes les forces de la gauche, qui n’ont pas renoncé à transformer la société, à se rassembler. Cette unité d’action dans les luttes et les urnes est un lent et patient travail où l’unité ne doit pas se faire au prix du renoncement de nos diversités. En effet, la conjugaison de nos diversités est la meilleure assurance de notre capacité à rassembler une majorité pour un projet juste pour toutes et tous. Je ne vais pas débattre ici des considérations tactiques pour 2012, mais je vais continuer le travail de clarification politique que j’avais entamé dans un précédent texte[2], en listant 10 questions clés que je ne fais qu’esquisser ici. Je n’ai évidemment aucune réponse définitive à ces dix questions clés…chercheurs de certitudes s’abstenir.

 

  1. Quelles stratégies renouvelées pour mobiliser une nouvelle classe « ouvrière » dans une guerre de tranché contre la classe dominante ?

 

La classe ouvrière au sens de ceux qui n’ont que leur salaire et leur force de travail (intellectuel ou manuel) pour vivre est encore plus nombreuse que par le passé. Mais elle est déstructurée par trois facteurs : (1) la division selon son origine avec une discrimination des travailleurs issus des quartiers sensibles accentuée en fonction de la couleur de la peau ou maintenant de la religion, (2) l’émiettement de l’emploi avec le recourt massif des grandes entreprises à la sous-traitance et l’explosion de la micro-entreprise, (3) les nouvelles méthodes de management qui favorisent l’évaluation individuelle, la multiplicité des compétences et l’individuation des parcours. Cette déstructuration renforce l’isolement, la souffrance au travail et diminue le niveau de combativité moyen. Ajoutée à la paupérisation du salariat, la grève de masse devient plus difficile, alors que les manifestations d’ampleur ou les actions spectaculaires se multiplient (blocage des villes ou des transports, occupation de lieux, sabotage de salariés…). Mobiliser le public, le privé, le jeune, le chômeur, le cadre moyen sous payé et exploité ou l’intérimaire des cités n’est pas une tâche facile.

 

Si nous ne devons pas renoncer aux vieilles méthodes, qui ont démontré leur efficacité, grève la plus massive possible et manifestation, toutes les voies de la contestation doivent être explorées : utilisation de la vidéo, site internet (NON à la constitution), boycott de produits (Palestine), recours juridiques, spectacles ou manifestation festive (manif de droite), utilisation des médias « alternatifs » (Médiapart, Rue89). Dans ce pluralisme de l’action, nous devons être totalement solidaires et organisés face à la répression du mouvement social qui prend de nouvelles formes (juridiciarisation après mouvement). Ce pluralisme de méthodes doit aussi permettre la convergence et non augmenter la division. Il faut que les jeunes des quartiers puissent se lier à la jeunesse scolarisée, ou que les vieux syndicalistes se joignent aux militants radicaux. Cette convergence n’est possible que si les barrières entre professions ou entre secteurs tombent. Pour cela il faut favoriser tout collectif, assemblée générale ou union locale d’un syndicat (une UL-CGT par exemple), qui favorise la convergence des luttes et des points de vue. Après chaque manifestation ou chaque grève tous les partis et les syndicats devraient appeler à des réunions quartier par quartier pour débattre du mouvement. Dans tous ces mouvements de masses, convaincre le maximum de gens d’entrer en mouvement est bien sûr la tâche primordiale. Pour cela parfois le détour par la radicalité est contre productif (les casseurs lors des mouvements altermondialiste), mais parfois  des blocages ou des occupations permettent d’amplifier le mouvement (Lycées et étudiants lors du CPE). Dans ce jeu, il n’y a aucune loi d’airain mais bien un savant dosage d’alchimiste à mettre en débat démocratiquement lors d’assemblées générales décisionnelles.  

 

Si la lutte des classes est faite de quelques moments chauds qu’il ne faut pas manquer, elle est aussi nourrit de myriades de mobilisations syndicales liées à la conflictualité du travail ou aux oppressions. La lutte et l’organisation lors de ces moments « froids » est aussi une tâche essentielle, car elle permet l’acquisition de compétences dans la résistance face à un employeur (lors d’un licenciement) ou face à un bailleur (lors d’une expulsion) et permet dans l’aide concrète aux gens de renforcer la confiance collective. Dans ce cadre, le renforcement des équipes syndicales comme des collectifs de luttes (sans papier, sans logement, parents d’élèves) apparaît comme une absolue nécessité.           

 

  1. Quelle politique institutionnelle en rupture avec la gestion libérale du PS et du PCF ?

 

Comme je l’ai développé ailleurs, la relation aux institutions, à l’état et aux élections divisent ceux qui se revendiquent de la transformation sociale. Ce débat dure depuis plus de 150 ans. Il n’y a donc rien à inventer mais on peut faire quelques bilans. La première chose est que de nombreux acquis ont été permis grâce à un ancrage dans les institutions. Les luttes seules ne produisent pas mécaniquement des réformes, elles peuvent avoir une traduction sociale pleine et entière quand un relai existe au sein du pouvoir ou du moins au sein de superstructures (syndicats, parti, état, école, église[3]). La place de la CGT et du PCF en France ont longtemps joué ce rôle, l’église ou l’armée a pu avoir cette fonction en Amérique latine. L’idée est que la traduction politique du rapport de forces matériel produit notamment par les luttes, requiert l’existence d’outils spécifiquement politiques eu sein de ces superstructures. En 1936 ou 1945 il n’y a pas de pérennisation des avancées sociales sans la place du PCF. L’après 1968 a connu une vague d’acquis syndicaux majeurs aujourd’hui oubliés notamment grâce à la place des syndicats dans la cogestion du système. La survit des avancées de la révolution bolivarienne au Venezuela a été possible grâce au rôle ambiguë de l’armée vis-à-vis de Chavez.     

 

Evidemment ces appareils et l’ancrage idéologique de notre camp en leur sein ne sont utiles que si la lutte des classes est animée par la sève du mouvement de masse. Or souvent le maintien de ces places dans les institutions se fait au détriment de la combativité et  de l’auto-organisation de la base. Pire des appareils bureaucratiques se constituent et substituent leur survie à l’enjeu collectif. Du coup un maire PCF ou Verts pour plaire à un électorat raciste s’en prend aux roms ou des leaders de la CGT font reprendre le travail à la RATP le 13 mai 2003. Ces facettes régressives du parti ou du syndicat arrivent d’autant plus vite que le salariat est pressurisé et aliéné et que son organisation repose sur quelques permanents.

 

Notre rapport aux institutions doit donc être dialectique et prendre en compte ces contradictions en évitant l’écueil du gauchisme [4] et celui de la dégénérescence bureaucratique des outils que nous nous donnons

 

  1. Quel moyen de lutte idéologique ?

 

La bataille idéologique (ou le combat des idées) est centrale. Historiquement elle se menait aux travers de journaux affiliés au parti de masse (PCF) mais aussi par le biais de tout une myriade d’associations qui structuraient la vie sociale et défendaient des valeurs antagonistes au capitalisme triomphant. Il faut aussi renouveler ce travail en s’appuyant sur l’ancien pour imaginer de nouvelles approches.

 

D’abord, en liaison avec l’exigence démocratique il faut sortir de la propagande simpliste et favoriser une vraie éducation populaire pour que le maximum de gens s’arment avec de l’intelligence collective. ATTAC, la fondation Copernic, les universités populaires ont bien préparé le terrain. Mais le public reste d’un niveau plutôt aisé et âgé. Il faut que ces pratiques descendent dans les quartiers populaires et changent de langage tout en gardant le souci de la justesse et de la nuance.

 

La presse écrite est, elle, en difficulté. Elle ne disparaîtra pas mais elle ne sera plus aussi centrale dans l’avenir. Evidemment, Internet joue et jouera une place centrale. L’utilisation de blogs, de sites ou de vidéos est déjà courante dans nos rangs. Mais il manque cruellement une rationalisation de ces outils et un accroissement de leur lisibilité : un annuaire des luttes, un agenda, des formations sur les outils pour toutes et tous. Le problème d’internet est que rapidement le lecteur est noyé par l’information. Il faut donc des sites et des outils plus sélectifs afin d’améliorer la qualité et pour synthétiser l’existant.

 

Enfin, il faut irriguer les associations existantes pour continuer à promouvoir par leur biais une autre façon de voir la vie que la seule marchandisation. Dans ce secteur, l’écologie (AMAP, SEL) a montré l’exemple.      

 

  1. Comment prendre en compte la nature de l’islamophobie ?

 

La plus grande menace dans notre combat est notre division. Or depuis le 11 septembre 2001, le nouvel agenda impérialiste (justification des guerres en Irak et en Afghanistan pour le contrôle de l’or noir) associé aux relents néocolonialistes français ont produit une nouvelle version du racisme : l’islamophobie. Nombreux sont ceux qui nient cette nouvelle forme de racisme. Cet aveuglement est comparable à ceux qui ont nié la spécificité de l’antisémitisme au début du XIXème siècle. L’antisémitisme a structuré durablement une évolution idéologique de la droite et a permis d’unifier une partie du peuple derrière le fascisme et le nazisme. La victoire des idéologies nationalistes et antisémites ont été la source des échecs des socialistes européens (allemand, italien, français) et de la victoire au moins idéologique du fascisme. Il est possible que l’islamophobie joue un rôle analogue au XXIème siècle à celui joué par l’antisémitisme au XXème. L’extrême droite européenne (Autriche, pays bas, suède) l’a bien compris. Les classes dominantes construisent l’image d’un ennemi intérieur, entre l’image repoussoir du terroriste et celle du simple étranger dont la culture met en danger une identité nationale imaginaire. Ce processus produit de la peur et de la discrimination et est ponctué par une série de coups médiatiques (voile, burka, quick Allal, polygamie, délinquance), qui renforcent un apartheid post coloniale au sein de notre société.     

 

Ce processus profite d’un mécanisme de production d’identité (cette fois ci bien réel et légitime) chez les enfants issus de l’immigration postcoloniale, qui affirment et assument leur différence par un retour visible à certaines pratiques notamment religieuses. De plus l’islamophobie bénéficie d’un allié assez précieux, présent à gauche, qui revendique un combat antireligieux au nom de la laïcité (voir les dérives quasi racistes de Riposte Laïque) et du féminisme. La religion est vue mécaniquement comme rétrograde et oppresseur. Nous reviendrons sur ces deux points par la suite.

 

Au vu de l’ampleur du phénomène (insultes racistes, discrimination dans l’espace public au nom de la laïcité, violences, tags sur les mosquées…), il est impératif d’ouvrir le débat au sein de la gauche sur ces questions et de renouveler le combat antiraciste en prenant en compte les spécificités de l’islamophobie. Comme pour la lutte contre toutes autres oppressions, il est naturel et normal que les musulmans (comme les femmes ou les homosexuels) passent par une phase d’affirmation de leur identité associée à des formes d’auto-organisation. C’est à ce titre aussi que nous devons comprendre des collectifs comme les indigènes de la République ou l’organisation de groupes sur des bases religieuses. Quand les femmes revendiquaient des assemblées générales non mixtes personne ne les accusaient de communautarisme….   

 

  1. La critique de la religion doit elle être universelle ?

 

Toute religion est caractérisée par un corpus éthique définissant des lignes de conduite pour la vie et par une explication téléologique (= définissant des fins) et originelle du monde. Plus simplement, on peut dire que les religions donnent des raisons spirituelles de la vie humaine (au sens de pourquoi vit-on ?) et des moyens de parvenir à une vie juste et bonne (comment doit-on vivre ?). La religion est donc une affaire éminemment politique puisque elle touche à la morale du vivre ensemble et donne une explication de l’organisation du monde qui peut être aussi une justification de l’ordre existant.

 

Dans beaucoup de sociétés actuelles, la religion joue le rôle de ciment idéologique indispensable à la vie et à la reproduction du groupe humain. Je pense qu’elle ne peut être évaluée en soi, mais selon les situations en fonction du rôle qu’elle joue dans les rapports de productions. Par exemple, en Iran, la religion musulmane sert de support à toute la société mais elle est aussi un des lieux d’organisation du pouvoir concret des classes dominantes. En France la communauté musulmane commence certes à être structurée, mais elle ne joue pour l’instant en termes de rapports de production et de pouvoir aucun rôle majeur. Ce n’est pas le cas de l’église en Espagne ou de la communauté juive ou protestante aux USA, qui jouent encore des rôles prépondérants dans l’orientation des classes dominantes des ces pays. La critique politique de la religion ne peut être que circonstanciée à une situation matérielle et politique donnée.

 

La religion comme toute autre superstructure de la société (l’école ou les syndicats) est traversée de contradictions et elle un lieu de luttes entre les classes[5]. La religion, même révélée, est comme le droit qu’une perpétuelle réinterprétation qui produit un questionnement toujours sans fin. Un croyant peut estimer que les écrits lui intime de condamner l’homosexuel alors qu’un autre pense que ces mêmes écritures saintes lui indiquent la voie pour le défendre contre l’oppression qu’il subit. Le pluralisme de l’interprétation est consubstantiel de toute religion.

 

D’autre part, notre société pseudo-séculaire a oublié que la majeure partie de ces normes éthiques et de ces schémas de pensée sont encore conditionnées par le judéo-christianisme pour le meilleur (principe de solidarité) comme pour le pire (domination masculine).

 

Il est donc impossible de mettre comme préalable à la volonté émancipatrice la lutte contre la religion. Le combat pour l’émancipation a été conjoint en occident du combat contre l’église catholique car nous étions dans une forme donnée de la lutte des classes ou l’église était une des armes de l’aristocratie face à la bourgeoisie montante. Cette centralité du combat contre l’église ne peut être mécaniquement transposée de nos jours à l’islam, notamment quand celle ci est comme en France majoritairement la religion de ceux qui sont spécifiquement opprimées à cause du passé colonial et du présent néo-impérialiste..

 

 

  1. Comment réactualiser la lutte contre toutes les oppressions (racisme, homophobie, domination masculine) ?

 

Un des acquis central du mouvement ouvrier sans cesse oublié mais sans cesse réaffirmé est la nécessité de prendre en compte sans les hiérarchiser toutes les oppressions spécifiques. L’exploitation de la plus value produite par le travailleur et sa captation par le capital n’est qu’un visage du système capitaliste. La domination économique n’est souvent pas d’ailleurs l’élément moteur de la volonté de mobilisation des masses. En effet, un élément central de souffrance est le besoin de dignité et de reconnaissance collective de ce qu’on est[6]. Or la société capitaliste renforce la fausse reconnaissance basée sur la seule acquisition de biens et nie les spécificités de chacun. Pire elle discrimine et divise. Elle maintient et développe différents systèmes d’oppressions, préexistant au capitalisme, qui font que certains groupes sont dominés par d’autres.

 

Ces groupes ont pris conscience collectivement et ont émergé sur la scène politique. Le droit à l’égalité entre noirs et blancs aux USA, le droit des femmes ou la reconnaissance des homosexuels ont été les étapes les plus symboliques de ces luttes. Ces luttes n’ont rarement été portées par le mouvement ouvrier traditionnel souvent sourd au départ à ces luttes spécifiques. Ironiquement ce sont parfois des croyants qui ont mené ce combat (Martin Luther King, Malcom X) et nombreux sont les révolutionnaires qui en 1968 ont minimisé l’importance du féminisme ou du droit des homosexuels.

 

Aujourd’hui comme hier, il faut réaffirmer l’importance de ces luttes qui ne peuvent être ramenées à la lutte économique (lutte sur l’infrastructure qui conditionnerait tout). Mais il faut aussi se garder des simplifications et des hiérarchisations entre oppressions. Depuis les affaires sur le voile, nous assistons à un cocktail dangereux où la lutte féministe est réapparue pour justifier une politique raciste. Dans une société patriarcale où 10% des femmes subissent des violences conjugales, la lutte pour le droit à l’avortement et à la contraception, pour la répression de la violence des conjoints (loi cadre en Espagne), pour l’égalité des salaires, la liberté de se vêtir en minijupe ou avec en voile doivent être des combats centraux. En effet, la division homme-femme est la pire de nos divisions. Elle est inscrite depuis le jeune âge dans tous nos comportements ; famille, école, travail sont tous coupables. Or dans ce contexte de régression des droits et de baisse des luttes, le féminisme revient par la fenêtre des classes dominantes sur la seule question sélective du voile. Cette supercherie ne fait que renforcer le racisme et le sexisme car elle fait adroitement passer l’homme blanc pour quelqu’un qui respecte les femmes alors que seules certaines populations (déjà stigmatisés pour leur dangerosité) elles, font courir un risque pour les femmes. De nombreuses études de sociologue ou de féminisme ont décortiqué ce mésusage de la question de l’oppression[7],[8],[9]. Nous devons mettre en débat cette question.     

 

  1. Quelle politique pour défendre les écosystèmes naturels en se basant sur la décroissance et la planification ?

 

Après la lutte contre les oppressions, nous en arrivons à la question écologique, autre absent du mouvement ouvrier canal historique. Le bilan catastrophique de l’état de santé de la planète est un des autres enjeux émergents de la période. C’est une question clé sur laquelle le mouvement ouvrier organisé (parti et syndicat) a longtemps été relativement sourd. Il commence juste à intégrer les données des scientifiques et les acquis des luttes, que les écologistes mènent depuis 40 ans.

 

La première étape est évidemment de populariser les connaissances concernant le pillage des ressources naturelles et les éléments de la crise écologique (biodiversité, climat)[10]. Mais il nous faut aussi approfondir notre démonstration du lien entre le fonctionnement capitaliste qui maximise la recherche du profit et la destruction des ressources naturelles[11],[12]. Plus précisément la crise écologique va elle précipiter la crise du capitalisme ou est il susceptible de s’en accommoder ?    

 

Au-delà de ces débats l’enjeu est évidemment de relier la critique sociale au mouvement écologiste car l’un ne va pas sans l’autre. Le capitalisme vert ne sauvera pas durablement la planète par la marchandisation de ce qu’il détruit et une société socialiste ne sera ni durable ni souhaitable sans résorption de la crise écologique. Les liens entre ces deux questions ne peuvent se faire que par la mise en perspective des enjeux politiques et économiques des luttes écologistes. A ce titre, les débats sur les OGM et le nucléaire sont centraux. Le premier pose la question de la marchandisation du vivant et le second met en débat l’adéquation du mode de production d’énergie (et sa pérennité écologique) à nos besoins de consommation.

 

La dimension écologique met d’emblée sur la table deux débats centraux. D’abord, nous devons décroitre notre prédation sur l’environnement, ce qui implique une société plus sobre et donc ne nous voilons pas la face, une décroissance de certaines de nos consommations[13]. Il ne sera pas possible de changer de voiture tous les 3 ans ou de téléphones portables tous les 6 mois dans une société durable et écosocialiste. Ensuite, l’écologie nous oblige à réhabiliter question de la planification pour réaménager le territoire en développant des transports publics gratuits et en rapprochant les lieux de productions industrielles et agricoles des lieux de consommation. Il ne sera pas possible de transporter des marchandises sur des milliers de kilomètres et de maintenir les spécialisations des économies nationales sur certains types de produit. L’écologie pose donc la question de la rationalisation d’un système de production qui doit devenir largement auto-suffisant localement pour diminuer drastiquement les échanges.  Décroissance et planification requièrent à la fois de changer les comportements individuels et la logique des échanges internationaux, du local au global.

    

  1. Quel projet internationaliste prenant appui sur les forums sociaux mondiaux et les expériences en Amérique Latine (Bolivie, Vénézuéla, Equateur) ?

 

A chaque débat sur les alternatives au libéralisme, nous sommes invariablement confrontés à l’argument du monde extérieur. Les mêmes qui ont promut la dérégulation de l’économie et la suppression de toutes les barrières économiques entre états, nous disent que toute politique alternative conduirait à la faillite du pays. Si le droit des travailleurs français est renforcé, le coût du travail augmente et nous risquons les délocalisations. Si nous taxons les riches ils vont s’enfuir. Si nous rognons sur les 15% de marge aux actionnaires, les investissements cesseront. La réponse à cette perpétuelle litanie de menaces se fait en trois temps.

 

D’abord il faut relativiser la menace du mur d’argent. Malgré ces impôts et son système social, la France est le troisième pays qui héberge le plus de millionnaires. Il est faux de croire qu’il existe une relation stricte entre évasion fiscale et le taux de prélèvement. Il est faux aussi de croire que toute entreprise est délocalisable et que les délocalisations sont la première source de chômage[14]. Il est faux de croire que l’investissement public ne peut pas remplacer l’investissement privé. Les capitalistes eux même au lendemain de la guerre ont fait le choix d’un investissement public massif[15] pour la reconstruction de toutes les infrastructures, préalable à toute production de nouvelles valeurs et donc de profits. Enfin, il est faux qu’on ne peut pas obliger les plus riches à payer plus d’impôts. Si besoin, la force publique peut même réquisitionner leurs biens, notamment immobiliers, qui constituent la première source de richesse en France. Tout ceci est avant tout une question de volonté politique.   

 

Le second élément de réponse est qu’il est toujours possible de taxer certains produits à nos frontières pour favoriser les biens produits dans des conditions sociales et écologiques convenables.

 

Enfin, nous sommes évidemment pour une politique internationaliste où les acquis obtenus dans un pays se propagent comme un jeu de dominos aux voisins. L’explosion des luttes en 1968 dans les pays de l’est (Hongrie, Tchécoslovaquie), en France, en Italie, en Allemagne, en Corée, au Japon ou aux USA[16] démontrent que ces mécanismes de contagion existent.  Il n’y a pas qu’une mondialisation des capitaux mais aussi une mondialisation des peuples qui sont plus connectés qu’avant aux avancées des uns et des autres. Plus récemment, nous avons vu comment le basculement au Venezuela a été un point d’appui pour la Bolivie et l’Equateur. Ces pays, regroupés tous ensembles, luttent à la fois contre les politiques de libre échange imposées par les USA et mettent en œuvre de nouvelles politiques d’échange et d’entre aide entre leurs pays (échange pétrole contre médecin entre le Venezuela et Cuba). Dans ce contexte, la refondation d’une internationale qui prendrait appui sur ces expériences dans certains pays restent une tâche inachevée des Forums Sociaux Mondiaux (FSM). 

 

  1. Comment renouveler nos modes d’organisation en repensant la démocratie et peut être en dépassant la forme « parti » ?

 

Les deux problèmes majeurs rencontrés par de nombreux militants au cours de leur engagement sont la part trop importante de temps investi dans l’organisation de l’organisation par rapport au temps investi réellement à la lutte des classes et dans la pauvreté démocratique des dites organisations. Pour schématiser nous sommes toutes et tous dans une foultitude d’organisations inefficaces, boutiquières, au fonctionnement bureaucratique avec un fonctionnement démocratique proche de zéro. Rares sont les militants qui maîtrisent réellement tous les débats de leurs syndicats ou partis, encore plus rares sont ceux qui ont un poids effectif dans les directions réelles choisis par ces directions.

 

Je ne sais pas s’il existe des solutions à ce problème complexe. Je vois deux sources à ce constat. D’abord, la logique d’auto-affirmation propre à tout groupe aussi petit soit il. Il peut être dépassé notamment dans la lutte commune pour des objectifs décidés ensembles. D’autre part, la société nous divise et nous donne peut de temps pour nous organiser indépendamment de ces structures à elle. Ce manque de temps est à l’origine du besoin en permanents, principale source de déviance démocratique (un permanent a plus de temps et donc de poids politique dans une organisation) et de menace de bureaucratisation.

 

Même s’il n’existe pas de solutions miracles, nos modes d’organisations doivent être reposés car les formes parti, syndicat et association montrent leur limite.          

 

  1. Comment construire un projet d’alternatif pour aller vers une sortie du capitalisme ?

 

Evidemment, nous ne convaincrons pas que la sortie du capitalisme est possible si nous n’avançons pas un temps soit peu sur le dessin de la société écosocialiste que l’on imagine. Il est temps que militants, scientifiques et habitants réalisent au moins en rêve une esquisse de cette société. Or cette sortie du capitalisme est aujourd’hui plus qu’hier une nécessité à envisager si nous ne voulons pas sombrer dans la barbarie. Le processus d’écriture de cette partition, nécessairement ouverte et inachevée, ne peut sans cesse être reporté aux lendemains qui chantent. Si un autre monde est possible, il nous commencer à le décrire.   

 

Toutes ces questions sont au cœur des débats de tous les partis ou regroupement à la gauche du PS (Verts ?, PCF, PG, NPA, fase). Des millions de citoyens en ont assez d’une société qui prend à ceux qui en ont le moins pour donner à ceux qui en ont déjà beaucoup, une société qui détruit la planète et prépare la guerre. Mais depuis l’échec des régimes qui se revendiquaient du communisme, beaucoup pense que rien d’autre n’est possible…Commencer à organiser notre réflexion autour de ces 10 points, est à mon avis une première étape pour redonner confiance en une alternative réellement possible qui sorte de la seule contestation pour prendre le pouvoir. 

 18 Novembre 2011, publiée sur Médiapart

 

[1] « Il est absolument faux d’imaginer la grève de masse comme une action unique. La grève de masse est bien plutôt un terme qui désigne collectivement toute une période de la lutte de classes s’étendant sur plusieurs années, parfois sur des décennies (…) Chaque vague d’action politique laisse derrière elle un limon fertile d’où surgissent aussitôt mille pousses nouvelles les revendications économiques. Et inversement, la guerre économique incessante que les ouvriers livrent au capital tient en éveil l’énergie combative même aux heures d’accalmie politique; elle constitue en quelque sorte un réservoir permanent d’énergie d’où la lutte politique tire toujours des forces fraîches; en même temps le travail infatigable de grignotage revendicatif déclenche tantôt ici, tantôt là des conflits aigus d’où éclatent brusquement des batailles politiques » Rosa Luxembourg

[2] http://www.mediapart.fr/club/blog/hendrik-davi/270210/surmonter-deux-debats-pour-la-gauche-anticapitaliste

[3] Sur infrastructure te superstructure voir

http://www.mediapart.fr/club/blog/hendrik-davi/070210/ideologie-et-appareil-ideologique-d-etat-aie

[4] Lire et relire Lénine : « le gauchisme, la maladie infantile du communisme »

[5] http://www.mediapart.fr/club/blog/hendrik-davi/070210/ideologie-et-appareil-ideologique-d-etat-aie

[6] Axel Honneth. La société du Mépris. La Découverte, 2006

[7] Dorlin Elsa. La Matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la Nation française, Paris, La Découverte, coll. « Textes à l’appui / Genre et sexualité », 2006, 308 p.

[8] Delphy Christine. Un universalisme si particulier. Féminisme et exception française. 1980-2010, Syllepse, “Nouvelles Questions féministes”, avril 2010

[9] Pierre Tevanian & Sylvie Tissot. Les mots sont importants. Éditions Libertalia. 296p

[10] http://www.mediapart.fr/club/blog/hendrik-davi/140110/les-quatre-facettes-de-la-crise-ecologique

[11] Capital contre nature. Sous la direction de Jean-Marie Harribey et de Michael Löwy. Actes du congrès Marx International III, section écologie. Collection Actuel Marx Confrontation, PUF, 217 p, février 2003

[12] http://www.mediapart.fr/club/blog/hendrik-davi/310110/capital-contre-ecologie

[13] Pour les débats sur la décroissance : http://john.mullen.pagesperso-orange.fr/s13decroissance.html

[14] Les délocalisations ne représentent que 15 000 emplois par an alors qu’en 2009 la France a perdu 255 000 emplois. Cela ne représente que 6% des pertes d’emplois pour 2009.

[15] Par la nationalisation de nombreux secteurs

[16]http://cap.qc.ca.edu/2008/04/17/mai-1968-dans-le-monde/

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