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Promenade autour de la notion d’évolution

Je propose un petit détour autour du concept d’évolution. Contrairement à ce que l’on pense, cette notion a pendant longtemps été étrangère à la pensée humaine. Elle est apparue essentiellement au moment où les sociétés ont effectivement évoluées, politiquement et économiquement lors de la révolution bourgeoise et la révolution industrielle. Maintenant, elle est galvaudée et souvent utilisée sans redéfinition des termes. De part ma formation d’écologue, je définis la notion d’évolution telle qu’elle l’a été dans l’histoire de la nature.

La notion d’évolution contient d’abord l’idée de changement. Les évènements historiques ou les espèces en biologie ne se succèdent pas dans le temps de la même manière. Hier est différent de demain. La pensée mythologique grecque ou indoue n’intègre globalement pas le changement historique. L’histoire de l’humanité comme celle de l’homme y est circulaire, c’est un éternel retour. Par contre, la pensée judéo-chrétienne intègre le changement, c’est une vraie rupture, il y a une création et une fin. Pour autant, ce n’est pas une pensée évolutionniste au sens que lui ont donné les biologistes. La pensée évolutionniste recouvre en effet d’autres propriétés, comme[1]

  • l’ordre : les événements ou les espèces sont ordonnés dans le temps selon une logique donnée. Prenons un exemple dans la vie courante, je vais chercher du pain : je sors de chez moi, je descend les escaliers…il y a un ordre.
  • la direction : Les événements sont ordonnés dans une direction donnée. Ce n’est pas une combinaison aléatoire d’événements. Pour reprendre l’exemple précédent, l’ensemble des événements qui me mène à la boulangerie, est ordonné précisément par ce que je vais à la boulangerie. Mon intention fait ici office de direction. En biologie, on peut dire que la relative adaptation des organismes à leur environnement indique l’existence d’une direction. Souvent la direction a été associée en biologie comme en histoire (positivisme ou marxisme), à l’idée de progrès. Je ne détaillerais pas ce point, car c’est essentiellement une caractérisation morale et culturelle de la direction de l’évolution qui ne clarifie pas les mécanismes et souvent complique l’analyse. Mais c’est important, car au nom d’une direction de l’évolution vers plus de complexité et donc vers l’homme (une des visions évolutionnistes du XIXème invalidé depuis), on pourrait justifier l’extinction d’autres espèces. De façon analogue, on pourrait justifier de changer des sociétés dites primitives pour les adapter au capitalisme (ou à un éventuel communiste) par la supériorité du capitalisme, plus avancé sur l’échelle de l’évolution humaine. De même le sentiment religieux pourrait être considéré comme une marque de primitivité dont il faudrait se débarrasser. Ce qui est faux dans ces raisonnements est de connoter l’évolution d’un progrès. Il est inutile de rentrer dans ce débat mais on peut montrer par l’absurde l’inanité de cette caractérisation morale de l’évolution : il est pas sûr que le paysan sumérien était plus malheureux que l’agriculteur français, et par contre il est certain que la fourmi est mieux adapté que l’éléphant au monde actuel, or le mode d’organisation des insectes est apparu bien avant celui des mammifères dans l’histoire des organismes…   
  • Des mécanismes expliquant l’existence de la direction : L’intention humaine permet de bien comprendre ce qu’est une direction. Je vais vers un endroit car j’ai une intention ou une volonté. Mais dans la nature ou dans les sociétés comment est ce possible ? L’adaptation des animaux à leur environnement (l’aile de l’oiseau ou le cou de la Giraffe) fut pendant longtemps un grand mystère que l’on expliquait que par l’existence d’un créateur. Ce n’est qu’au XIXème siècle que Darwin donna une solution cohérente conséquente : l’existence d’une variabilité entre les individus, la transmission des caractéristiques à leur descendance (l’hérédité), le fait que par sélection naturelle les individus les plus adaptés laissent plus de descendants et donc envahissent la population ; les caractères les moins adaptés à un moment donné disparaissent. Les forces évolutives qui conditionnent les trajectoires de l’évolution seront définies lors de la théorie synthétique de l’évolution dans les années 30. Elles sont au nombre de quatre : la mutation (création de variabilité), la migration, la sélection, la dérive (le fait que certains caractères disparaissent indépendamment de leur valeur sélective). Notons que malgré l’existence d’une direction, l’évolution continue et il n’y a pas de fin au processus, car du fait des changements dans l’environnement et de la compétition entre individus, l’adaptation doit être permanente. Enfin, il est important de noter que le fait qu’il y ait une direction n’implique pas que l’on puisse prévoir exactement ce qui va se passer et comment cela va se passer. C’est vrai dans l’histoire des organismes car des évènements rares imprévisibles conditionnent fortement les chemins emprunter par l’évolution. On sait que l’on va vers la boulangerie mais il y a une infinité de chemins possibles pour y arriver, mais peut être n’y arrivera t’on pas si un automobiliste en état d’ébriété nous fauche : malgré l’existence d’une direction, on peut ne pas arriver pas à destination…Je précise cela sur le ton de la plaisanterie, mais une interprétation naïve du marxisme ou du darwinisme, a pu mené dans l’histoire ou en biologie à une vision mécaniste ou positiviste très dangereuse et éminemment fausse[2]. La direction réellement existante fait office de certitude, du coup quand la certitude tombe comme un mur en 1989, tout s’effondre…

 

Darwin et les biologistes qui l’ont succédé ont découvert les mécanismes et les moteurs de l’évolution des organismes. Qu’en est il de l’histoire humaine ? Tout d’abord, en analysant l’histoire de l’homme, on s’aperçoit, comme dans l’histoire des espèces, qu’il y a des changements, de l’ordre et une forme de direction. Reste les mécanismes. Si l’hypothèse de l’existence d’un grand horloger est exclue, il nous faut chercher les différents moteurs de l’évolution humaine. Cette entreprise a été l’objet de nombreuses recherches et nous n’avons évidemment pas la solution. Marx a pensé l’évolution de l’histoire humaine dans des termes analogues à Darwin : changement, ordre, direction et mécanismes explicatifs de la direction. Si on fait l’analogie avec la théorie de l’évolution, l’évolution dans l’histoire humaine est possible car il y a bien une variabilité des cultures, une hérédité culturelle par transmission orale ou écrite et probablement des moteurs de l’évolution : l’évolution des moyens de production et la lutte des classes sont ceux retenus par Marx, j’aurais tendance à y rajouter l’interaction ressources naturelles et moyen de production et l’organisation des moyens de reproduction au sens large (structure familiale, domination masculine). Chacun des moteurs peut jouer des rôles quantitativement différents selon les périodes de l’évolution. 

Ce détour me paraissait nécessaire, premièrement car les théories de la fin de l’histoire semblent indiquer que l’évolution est finie. Souvent pour nos contemporains le capitalisme et la mondialisation sont un fait extérieur qui semble avoir toujours existé. Or c’est un système récent en évolution, qui est la résultante de révolutions technologiques, politiques et idéologiques. Et heureusement rien n’indique au contraire que sa pérennité est inéluctable.

D’autre part, je voulais attirer l’attention sur le fait que les sociétés humaines évoluent et heureusement évolueront encore, au sens de ce que j’ai donné au mot évolution (changement, ordre, direction). Ceci n’est finalement pas aussi évident qu’on ne le croit et cela devrait exciter notre curiosité quand aux moteurs de cette évolution maintenant que l’hypothèse créationniste a scientifiquement été invalidée pour la nature… 

[1] Voir l’excellent ouvrage The Dialectical Biologist Richard Levins & Richard Lewontin. Harvard University Press 1985

[2]           Certains textes de Marx et Lénine prêtent à confusion, car ils y érigeaient le sens de l’histoire et la victoire du prolétariat comme quelque chose d’inévitable. En fait, ces tournures étaient des tournures de propagande, au sens noble du terme afin de donner confiance à la classe ouvrière. Mais dans la réalité leur pensée et surtout leurs actes démontrent le contraire. Ils savaient que l’histoire n’est pas linéaire (comme l’évolution des organismes)…ce qui se traduit par l’importance qu’ils ont donnée à l’organisation politique et au parti…

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