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Questions théoriques posées par l’unité antilibérale

Article publié dans la Revue Socialisme International

http://revuesocialisme.pagesperso-orange.fr/s19hendrik.html

Les élections présidentielles et législatives françaises de 2007 ont été marquées par des divisions tactiques dans la gauche radicale sur la question de la candidature unitaire antilibérale. Je vais revenir sur cet épisode en reprenant les éléments de fond, d’ordre stratégique, qui justifiaient la candidature unitaire et qui structurent une partie de nos divergences encore aujourd’hui au sein de la LCR.

 

1/ Pourquoi l’unité de la gauche antilibérale était elle nécessaire ?

 

La lutte contre libéralisme économique : élément structurant de la période

 

Pour comprendre pourquoi la question de la libéralisation de l’économie est centrale, revenons sur la situation du capitalisme contemporain. Elle a largement été décrite dans de nombreux textes récents (Dumenil & Levy 2001 ; Chesnais et al., 2001), je ne détaillerais donc pas. Le capitalisme est toujours soumis à des contradictions inhérentes à son fonctionnement ; la baisse tendancielle du taux de profit en est une. Le profit ne vient que de la valeur ajoutée produit par le travailleur. Or le capitaliste augmente le capital fixe ou mort (bâtiments, machines) pour augmenter sa productivité et faire face à la concurrence. Ce faisant, il augmente ces coûts de production. Pour maintenir son taux de profit, il faut augmenter la productivité du travailleur soit en augmentant son exploitabilité (en redistribuant de plus en plus de profits au capital par rapport au travail), soit grâce à des innovations techniques. Cette baisse tendancielle du taux de profit[1] existe toujours. Elle est la base des tendances structurelles impérialistes : concentration des capitaux et guerres. Mais c’est aussi ce qui pousse les capitalistes à libéraliser l’économie et à marchandiser de nouveaux secteurs d’activité comme le vivant (d’où la question clé des OGMs). Dans les années 70 et 80, le capitalisme est rentré en crise, il n’a pas pu contrecarrer la baisse tendancielle du taux de profit, et le taux de profit a effectivement diminué. Depuis le début des années 80, les classes dirigeantes ont commencé à restaurer le taux de profit par une augmentation du rapport capital-travail (10% des profits sont passés des travailleurs au capital) et aussi grâce à un nouveau cycle d’innovation technique : l’informatique et les biotechnologies. La libéralisation de l’économie et l’ouverture de nouveaux marchés est une question structurelle clé pour la survie du capitalisme.

 

A la fin des années des années 80, les mesures de libéralisation de l’économie et de casse de l’état providence prises pour surmonter la crise, provoquent dialectiquement un peut partout dans le monde un nouveau cycle de résistances. En France, c’est le retour des grèves de masse, en décembre 95 contre le démantèlement de la sécurité sociale, en 2003 contre la réforme du régime des retraites. Cette résistance au libéralisme, qui est la forme de l’agression du capitalisme contemporain et à l’ensemble de ses conséquences (guerre, écologie, identité nationale ou culturelle, racisme…) est à l’origine de toutes les luttes massives dans le monde à cette période: audience du mouvement écologiste à une échelle de masse, combat des mineurs boliviens en 86, mouvement Vénézulien en 1988, grève massive en Corée dans les années 90, luttes des indiens du Chiapas, paysans sans terre au Brésil, mouvement antiguerre notamment en 2003. La particularité de ce cycle de luttes est qu’il est structurellement défensif mais aussi mondialisé. Plus que la radicalité, c’est la conscience assez aigue que les attaques touchent tous les secteurs et partout dans le monde (caractère global), qui donne au mouvement son caractère anticapitaliste.   

 

C’est en général nourris de ces résistances, que se sont construit les nouveaux mouvements de la gauche radicale qui ont souvent synthétisés ces différentes luttes avec une formalisation (parti ou front), une institutionnalisation et une radicalité plus ou moins variées selon les situations : forums sociaux locaux ou mondiaux, association (ATTAC), partis (Bloc de gauche portugais, Alternative Rouge et verte au Danemark, SP hollandais, Linkspartei allemand, Refondazion italien, RESPECT anglais, PT et puis PSOL brésilien, MAS bolivien…).

 

Il est probable que ce cycle ne soit pas fini, car le processus de casse de l’état providence et du consensus idéologique correspondant (forme du capitalisme de l’après guerre avec hausse du niveau de vie dans les pays avancés) est forcément long. La conscience qui émerge des luttes restera plus antilibérale et mondialisée que directement anticapitaliste, c’est-à-dire remettant en cause la propriété privée des moyens de production. La tâche essentielle pour les révolutionnaires est que ce mouvement progresse quantitativement par un maintient des luttes existantes et un retour de luttes visant à acquérir de nouveaux droit comme actuellement en Amérique Latine et qualitativement par une augmentation de la conscience de classe. Pour cela, il est nécessaire en France comme ailleurs, que ce mouvement débouche sur des recompositions politiques qui synthétisent la richesse du mouvement dans l’ensemble de ces composantes, écologiste, antiguerre, ou syndicaliste. Ces recompositions doivent aider structurellement le mouvement dans ces luttes mais aussi participer à la lutte idéologique.

 

La lutte idéologique : la question de l’hégémonie

 

La lutte contre le libéralisme passe par une lutte syndicale et politique mais aussi par une lutte idéologique. La lutte idéologique pose la question de l’hégémonie politique. Le terme d’hégémonie a beaucoup été utilisé par le révolutionnaire italien Gramsci. C’est l’ensemble des mécanismes, que déploient un corps social pour maintenir sa position dominante notamment dans le champ des idées. Ce processus est un maillon indispensable à la domination des classes possédantes. Il permet la production d’opinions ou d’idéologies qui convainquent le corps social dominé de la justesse des choix et orientations donnés par les classes dominantes. L’ensemble de ces idées constitue une mosaïque idéologique que Marx nommait l’idéologie dominante. Elles sont aussi variées que : « les femmes sont faites pour certaines tâches »,  « on a toujours besoin de patrons », « l’amour est précaire, la vie est précaire, pourquoi le travail ne le serait pas ? »…  

 

Le maintient du pouvoir d’une minorité sur une majorité repose grandement sur ce corpus idéologique. C’est un moyen bien plus puissant que l’état policier dont le recours n’est nécessaire que quand l’idéologie (ou la morale) a faillit. Sans ce conditionnement opéré par la société, on ne comprend pas pourquoi les pauvres ne se ruent pas plus souvent dans les centres villes pour tout voler comme ce fut le cas dans certaines émeutes.

 

L’idéologie dominante est transmise par le biais de superstructures comme l’école, l’état, le syndicat, le parti ou les médias. Ces structures peuvent avoir des rôles ambivalents, car elles sont le produit des rapports de forces entre les classes ; elles peuvent donc parfois être aussi des outils d’émancipation (comme l’école). Les différents mécanismes sociaux de la transmission des idéologies ont notamment été analysés par Bourdieu. L’hégémonie est un concept dont l’importance a parfois été oubliée dans la tradition marxiste, il permet de poser la question des rapports de force subjectifs, qui se combine dialectiquement avec le rapport de force réel.

 

Cette question de la domination idéologique est fondamentale dans la période actuelle et encore plus dans les pays à forte et vieille tradition de démocratie bourgeoise. En effet, nous avons vu dans le paragraphe précédent, que la restauration du taux de profit passe par une phase de libéralisation de l’économie, qui conduit à la casse de l’état providence et donc à la destruction du compromis idéologique de la phase précédente. Pour faire accepter ces changements, il faut une rupture idéologique y compris dans le discours des classes dominantes. Schématiquement on passe de l’état protecteur et du bon patron, à la concurrence libre et non faussée. Avant ces élections, le problème des dirigeants français était l’impossibilité de faire passer dans l’opinion publique la nécessité de la libéralisation de l’économie. Les luttes depuis décembre 95 ont mis à mal leur hégémonie, créant des failles importantes : CPE et émeutes de 2005. Un des objectifs du traité constitutionnel était précisément de naturaliser le libéralisme, ce fut un échec. 

 

L’objectif de ces élections pour la bourgeoisie était donc de recouvrer une certaine hégémonie et de gagner la bataille des idées sur le libéralisme. Sarkozy a incarné cette bataille. Il a mené un combat idéologique de conviction clairement autoritaire et économiquement libéral : moins d’état providence, exaltation de la réussite, « travailler plus pour gagner plus ». Cette bataille, au moins en apparence, a été clairement victorieuse. Il n’a pas complètement gagné car il a été obligé de jouer sur un populisme, dont une partie du discours comporte des contradictions (ouverture aux idées du FN et à la gauche…). Il a replâtré des contradictions politiques, il ne les a pas résolues. Mais l’apparence de la victoire idéologique est hélas tout aussi important d’un point de vue hégémonique, que la réalité de la victoire idéologique. Et cette victoire, qui n’est qu’apparente, sera réelle s’il ne subit pas de défaites majeures dans la rue.

 

Face à Sarkozy, il s’est construit une autre forme de réponse libérale incarnée par Bayrou et Royal. Cette autre forme n’a pas été aussi claire et assumée, elle a manqué de temps pour se structurer. Mais son existence ailleurs en Europe (Prodi, Blair, Schröder, Zapatero) nous montre, qu’elle a une base politique et que cela correspond aussi à une évolution quasi inéluctable de la sociale démocratie (mais des retours tactiques du discours de gauche sont possibles comme Fabius nous l’a montré). Gageons que ce sera la roue de secours du libéralisme si la machine Sarkozy se grippe.

 

Dans ce contexte, la gauche radicale se devait d’avoir comme objectif premier de mener le combat idéologique contre le libéralisme. Cette tâche lui était dévolue du fait de la droitisation du PS et des ruptures dans son discours que cela a entraîné[2].

 

Pourquoi l’unité est elle impérative ?

 

Si nous récapitulons, l’unité des antilibéraux est une question stratégique centrale posée par la période. Cette unité dans les luttes comme dans les urnes est un élément essentiel pour :

  1. Permettre de transformer le cycle de grèves de masse[3] initié à partir de décembre 95 en proposition politique positive à la hauteur de la conscience actuelle. Ce saut organisationnel qualitatif est indispensable pour la poursuite du mouvement. Il ne peut se faire que par la rencontre des différentes traditions et luttes qui ont nourris le mouvement.  
  2. Lutter idéologiquement contre le libéralisme, ce qui ne peut se faire efficacement sans montrer l’existence de deux projets contradictoires. La multiplication d’acteurs antilibéraux concurrents ne permet pas de montrer quel est le clivage structurant (ce que la campagne du NON avait fait).
  3. Passer de la conscience de classe acquise au cours du processus de luttes à une confiance de classe. Pour cela, il est nécessaire qu’une proposition en positif recueille un maximum de voix lors d’élections, ce qui rend l’unité indispensable !  

 

Nous allons voir en quoi, les élections de 2007 étaient probablement un moment clé, qu’il ne fallait pas raté malgré l’existence de réelles difficultés.

 

2/ Pourquoi était ce un moment clé ?

 

La nécessité de trouver un débouché politique au mouvement social est largement partagée dans la gauche radicale. Mais la question de la possibilité d’avancer vers cet objectif lors de cette séquence électorale là a fait débat. Certains camarades pensaient qu’il était trop tôt ou que les désaccords avec le PCF, mais aussi avec une grande partie des animateurs de la campagne du NON, étaient trop importants. Le résultat des élections semble leur donner raison: victoire de Sarkozy, score faible de l’ensemble des candidatures antilibéraux, score plus élevé du candidat de la LCR. Ces faits sembleraient indiquer un rapport de force nettement défavorable (ce qui justifie une politique prudente), l’impossibilité d’obtenir des clarifications stratégiques (relation avec le PS) de nos partenaires potentielles et un rétrécissement de l’espace antilibérale a peine plus large que l’espace anticapitaliste. La conclusion possible est que ces élections ne constituaient pas un moment clé ou que les conditions objectives ne permettaient pas qu’on influence plus la situation que ce qu’on a pu faire par notre candidature propre. Bref, la victoire hégémonique de la droite et la décomposition du mouvement antilibéral étaient inéluctable. Je pense qu’il serait erroné d’analyser les résultats de cette manière.

 

Pour discuter de cette question, il est intéressant de revenir sur un débat qui a traversé le courant marxiste à plusieurs périodes : le rôle de l’élément subjectif (l’action organisée de révolutionnaires), l’importance de « l’instant » (un moment clé), une analyse dialectique des rapports de forces de force, qui s’oppose à une conception linéaire de l’histoire. Au début des années 20, ce type de débats a opposé Rudas et Lukacs[4]. Rudas et d’autres ont critiqué l’ouvrage majeur de Lukacs « histoire et conscience de classe » en l’accusant de subjectivisme (c’est-à-dire surestimant le rôle des individus par rapport au poids des contraintes dites objectives).  Concernant l’analyse de l’échec de la révolution hongrois Lukacs explique :

 

« Aujourd’hui comme hier, Rudas se montre en fidèle kankien : qu’il surestime ou sous-estime l’élément subjectif, il le sépare soigneusement de l’élément objectif, et se garde de considérer ces deux choses dans leur rapport d’interaction dialectique. Il veut montrer maintenant que la dictature hongroise des conseils s’est brisée sur des obstacles objectifs. Parmi ces obstacles, il compte l’exiguïté du territoire, qui interdisait toute retraite militaire, la trahison des officiers et le blocus. Ce sont trois faits incontestables (…). Pourtant – et ce point de vue méthodologique est décisif dans notre controverse -, aucun dialecticien révolutionnaire, aucun léniniste ne voudra envisager l’un de ces facteurs dans sa pure factualité, indépendamment de la question de savoir s’il existait ou non un parti communiste »[5]

 

Autrement dit dans notre situation, je pense qu’il est impossible de déduire de la victoire de Sarkozy et de l’échec des candidatures unitaires, des causes objectives (faiblesse du mouvement ouvrier, existence d’un PCF en France) sans dialectiquement prendre en compte l’élément subjectif que constitue l’absence de débouchés politiques au 29 mai crédible et uni à gauche du PS.

 

Or la séquence de grève de masse a finit, malgré une dégradation des capacités de résistance, par une victoire électorale (le 29 mai), puis par une défaite majeure des classes dominantes lors de la lutte sur le CPE. Rien, n’indiquait que la gauche radicale serait globalement défaite et que Sarkozy serait vainqueur, y compris en partie idéologiquement. Cette période se concluait par une séquence électorale qui constituait a priori ce que Lukacs appelle un « instant » dans un processus :

 

« Qu’est ce qu’un instant ? Une situation qui peut durer plus ou moins longtemps, mais qui se détache du processus dont elle est l’aboutissement par le fait qu’en elle les tendances essentielles de ce processus se concentrent, qu’en elle une décision doit être prise concernant l’orientation future du processus. Cela signifie que les tendances atteignent une sorte de pic, et, selon la manière dont on choisit d’agir dans la situation en question, le processus prend après cet instant une autre direction ».

 

Nous avons vu précédemment que :

  1. Des failles existaient dans les classes dominantes, leur hégémonie était mise à mal. Elles n’arrivaient pas idéologiquement à imposer le libéralisme alors qu’économiquement la purge requise dans l’économie rend nécessaire une adhésion – l’échec du CPE le montre.
  2. Les stratégies sociale-libérales étaient encore vacillantes. Le PS était idéologiquement divisé, même s’il avait réussi une unité de façade. L’absence d’adhésion au programme de Royale malgré le vote utile montre en creux, l’espace idéologique qui existait à gauche.
  3. Le cycle de luttes et de recomposition politique montrait ses limites (crise d’ATTAC, pas d’adhésions massives dans les partis à gauche du PS), malgré deux victoires.
  4. Un « objet » politique issu du processus de grève de masse depuis décembre 1995, avait potentiellement la possibilité d’influer largement (la popularité actuelle d’Olivier paradoxalement le démontre). Le mouvement des collectifs et le produit programmatique auquel il a abouti ont montré que des bases d’accords étaient possibles
  5. Et enfin, en germe le « phénomène » Sarkozy, indiquait que les classes dominantes avaient peut être trouvées la solution (le temps est compté).

 

Ces éléments me semblent indiquer que nous étions dans un moment clé. On peut débattre des réelles potentialités de ce « moment ». Par contre dire simplement qu’au vu des résultats, ceux qui disaient « qu’autre chose était possible » avaient tort n’est pas sérieux et donne une vision linéaire de l’histoire, qui s’est rarement vérifié. L’axiome selon lequel le PCF est obligé de participer à un gouvernement PS relève de la même veine, même si in fine il avait fait ce choix. Il y avait bien d’autres faiblesses du mouvement qu’il nous faudra analyser : manque de clarté vis-à-vis du PS, absence de la jeunesse ou découplage entre dynamique militante et dynamique large. Mais il me semble que quand on est dans un moment pareil, le problème n’est pas de prévoir ou d’énumérer les faiblesses mais d’agir pour que cela aille dans le bon sens.

 

Le point de vue de ceux qui ont défendu une candidature unitaire était motivé justement par le sentiment qu’on était dans un « instant » où il fallait que le processus débouche positivement (et une victoire de Sarkozy et les 4% de la LCR est ce réellement le débouché à la hauteur du NON et du CPE?). Ceci justifiait à mon sens une prise de risque. Effectivement, les divergences réelles avec une partie du PCF sur les relations avec le PS, faisaient que potentiellement dans ce processus on prenait un risque pour nous et pour le mouvement. Mais à la lumière des résultats (victoire de Sarkozy), en utilisant la même méthode que certains camarades[6], on pourrait à notre tour répondre que ceux qui avaient peur d’un gouvernement allant de Royale à Besancenot étaient à coté de la plaque…

 

Plus sérieusement, savoir comment on combat l’antilibéralisme inconséquent – qui par réformisme est près à participer à un exécutif, qui met en place une politique libérale – est une vraie question. A mon avis, la LCR a eu raison d’en faire un point de débat, mais a tort dans sa manière de mener le débat.  

 

3/ Lutte contre le réformisme dans le mouvement 

 

La question de la lutte contre le réformisme dans le mouvement de résistance et plus largement à gauche du PS est une question importante. On ne peut effectivement se contenter de proposer une nouvelle force (union de forces ou nouveau partie à gauche du PS), car la tentation réformiste peut prendre rapidement le dessus. Il faut donc aussi discuter des moyens d’infléchir ces éventuelles recompositions, pour qu’elles ne se finissent pas en nouvelles désillusions (comme au Brésil ou en Italie). 

 

Le clivage entre réformistes et révolutionnaires réside dans l’affirmation de la nécessité objective de l’affrontement avec l’état bourgeois. Cette question parait lointaine car nous ne sommes pas directement dans une situation révolutionnaire. En fait, elle est structurante à n’importe qu’elle moment de la lutte des classes. En effet de façon concrète, les divergences apparaissent sur une série de questions concernant :

  1. la manière de développer les luttes : en mettant au centre la question de l’auto-organisation et la victoire de la lutte
  2. des questions politiques clé comme le nationalisme ou la guerre
  3. la question de l’institutionnalisation.

 

Quand on remet en question le capitalisme et qu’on pense qu’on ne pourra pas le transformer seulement par une suite de réformes, le maintien d’une position institutionnelle n’a pas le même poids que dans une logique réformiste. Les courants réformistes ont toujours tendance à un moment ou à un autre à subordonner certains de leur mot d’ordre ou certaines luttes politiques ou syndicales au maintien d’un appareil ou d’une position. Ce choix n’est pas systématique heureusement, mais il se reproduit souvent sur toute une série de questions à différentes échelles (du local au global). Dans une société où la bourgeoisie domine idéologiquement, il faut savoir prendre des positions politiques qui sont au moins au départ[7] idéologiquement minoritaires. C’est souvent contradictoire avec une politique électoraliste, qui suppose de ne pas trop heurter l’électorat afin de recueillir un maximum de voix. Ce mécanisme permet de comprendre une partie des dérives nationalistes du PCF par exemple, ou la perméabilité du PS aux idées sécuritaires.

 

Mais nous devons aussi rappeler que le maintien des positions institutionnelles peut obliger des appareils réformistes à s’affronter aux classes dominantes. En effet, l’existence de ces appareils syndicaux et politiques dépend du rapport de force global et de leurs militants. Si le droit syndical est complètement détruit, c’est l’existence même du syndicat tel qu’il existe qui est en danger. Si le PCF a le même programme que le PS, il disparaît. Donc selon les situations, ces appareils peuvent prendre des décisions qui vont dans le sens d’un affrontement ou d’une conciliation avec les classes dominantes. Par exemple, le choix du PCF sur le référendum et l’impact sur la CGT a été un élément important de la victoire du NON. De même, si visiblement l’appareil de la CGT a fait une erreur tactique en 2003 en freinant le mouvement en Mai, elle a eu un rôle positif en décembre 95.

 

Comment dans la situation actuelle pouvons-nous combattre idéologiquement le réformisme ?

 

Tout d’abord, cette bataille n’a de sens que si on s’inscrit dans la bataille plus large contre le libéralisme et elle y est en partie subordonnée (les deux se nourrissent dialectiquement mais de façon asymétrique). En effet, quand on est complètement sur la défensive, il est plus dur d’expliquer que le retour au compromis keynesien des années 60 n’est pas la solution. Expliquer à un travailleur que l’école républicaine est aussi un moyen d’oppression, est plus difficile quand on supprime cette école.

 

D’autre part, on ne combat efficacement idéologiquement le réformisme que par la praxis.  Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie mais la vie qui détermine la conscience » écrivait Marx. Tout changement d’idées intervient dans une dialectique entre la praxis et la théorie. Pour cela, il faut qu’une masse significative de gens y participe dans l’unité. Toute leçon faite en dehors du mouvement, sorte de marxisme de propagande, est inefficace. Par contre, la conscience politique pouvait potentiellement beaucoup progresser dans le mouvement des collectifs. Par exemple, la question de la gratuité de l’eau prend un caractère anticapitaliste, quand on discute programme dans un regroupement avec des réformismes ; dans le programme de la LCR il n’est qu’une mesure. Quand on rédige un programme avec des professeurs qui partent de leur expérience (et non pas d’un corpus idéologique tout fait) pour discuter des mesures concrètes sur l’éducation nationale, on pose en pratique la question du programme transitoire.

 

Dans ce processus, la présence de révolutionnaires est déterminante, pas pour montrer la voie juste (ou la mesure juste), mais pour déconstruire l’idéologie dominante. Pour reprendre l’exemple de la gratuité de l’eau. Quand on propose cette mesure, on nous répond : « c’est impossible économiquement et politiquement car les gens vont gaspiller ». L’opinion est que si les gens ont quelque chose de gratuit, il le dépense. Cette réalité est fausse dans l’histoire de l’humanité, et finalement pas si vrai même dans la société capitaliste[8]. On voit bien qu’à partir d’un débat programmatique anodin, on pose directement la question de l’anticapitalisme.

Ce constat entraîne deux conséquences :

  1. la bataille contre le réformisme dans le mouvement nécessite aussi l’unité de ceux qui luttent contre la forme actuelle du capitalisme : le libéralisme
  2. il faut que les révolutionnaires soient organisés car aucune conscience anticapitaliste ne s’acquiert automatiquement à cause de l’hégémonie politique des classes dominantes.

 

Lors de la séquence électorale de la présidentielle, nous pouvons dire que les choix de la LCR n’ont pas permis d’avancer sur la question de l’unité mais en contrepartie le poids de l’aile radicale s’est potentiellement renforcé en terme d’audience[9].

 

5/ Conclusion

 

La nécessité du regroupement large et de l’organisation des révolutionnaires en son sein est donc la conséquence organisationnelle théorique de ce que j’ai développé ici. En pratique, cela peut prendre des formes très variées selon la situation politique. Il ne faut pas voir ce schéma de manière stricte mais bien comme une boussole.

 

Dans ce contexte, la nouvelle force à construire, peut répondre à un des objectifs ou à l’autre ou les deux. Elle peut même être une étape transitoire pour mener à l’un ou à l’autre (pole révolutionnaire/ regroupement large). Mais pour y voir claire, il faut poser les objectifs stratégiques qu’on donne à cette nouvelle force.

 

 

[1] Marx l’expliquait ainsi « Il faut bien que cet accroissement progressif du capital constant par rapport au capital variable ait nécessairement pour résultat une baisse graduelle du taux de profit général (…) le même nombre d’ouvriers, la même quantité de force de travail, que faisait travailler un capital variable, d’un volume de valeur donnée, mettra en mouvement dans le même laps de temps, par suite du développement des méthodes de production propre à la production capitaliste, une masse toujours plus grande de moyens de travail, de machines et de capital fixe de toute sorte, traitera et consommera productivement une quantité toujours plus grande de matières premières et auxiliaires – par conséquent il fera fonctionner un capital constant d’un volume en valeur en perpétuelle augmentation » Marx, le Capital, Livre III, Chap XIII.

[2] Royal a par exemple déclaré lors de la campagne « « Je ne suis pas favorable à une société de l’assistanat. La gauche ce n’est pas cela, la gauche c’est la dignité du travail. La société que je vous propose, c’est une société du donnant-donnant où chacun aura le sentiment que ce qui est donné par la responsabilité publique à ceux qui en ont le plus besoin s’accompagne en retour d’un effort de la part de ceux qui reçoivent »

 

[3] Processus décrit par Rosa Luxembourg pour analyser les successions de grèves économiques sur des revendications syndicales et de grèves et luttes politiques (sans papiers, mouvement antiguerre…), qui traduisent un processus de conscientisation anticapitaliste des masses.

[4] Révolutionnaire tchécoslovaque

[5] Dialectique et spontanéité (chap. problèmes de la conscience de classe). G Lukacs 1925.

[6] Voir la critique de Danièle Bensaïd aux textes de Artous & Kouvalékis

[7] Au début d’une lutte, la position politique peut être minoritaire dans l’opinion et devenir majoritaire à la fin. Nous avons eu un magnifique exemple avec la lutte sur les retraites en 2003.

[8] On n’a jamais été aussi peu économe en eau et elle n’a jamais été aussi chère…

[9] En terme de militants c’est moins sûr, car les personnes contactant la LCR n’ont pas forcément une conscience anticapitaliste plus aiguë que les militants investis dans les collectifs unitaires.

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